Publié : 02 févr. 2005 8:01
CHAPITRE VII
A la lumière du jour, la situation semble un tantinet moins désastreuse que la veille. Nous avons piqué deux pelles et deux balais dans le hangar, et nous nous sommes attaqués à nouveau au déblayage du vaisseau. La partie supérieure est dégagée assez rapidement, il ne reste plus que le bas qui soit encore enseveli ; et si l'appareil n'est pas en excellent état, c'est tout de même moins catastrophique que ce que je pensais. Les vitres sont intactes, le toit ne semble pas fissuré. L'avant est enfoncé, mais il ne s'agit probablement que de la coque, il se peut très bien que l'intérieur n'ait pas subi de dégâts ; auquel cas, il suffira de quelques coups de masse pour la redresser. Il faudra aussi renforcer la coque sur les côtés, par précaution. Par contre, l'entrée, elle, est toujours introuvable. Nous continuons de creuser pour dégager l'appareil, et plus nous creusons, plus nous constatons à quel point il est immense, et plus je commence à craindre qu'il ne soit profondément enterré.
J'y crois pas, voilà que je me mets à rêver debout comme Etan… Quand bien même nous arriverions à dégager le vaisseau, il faudrait d'un : qu'il soit encore en état de voler ; et de deux : que nous parvenions à le contrôler ; et les deux me paraissent aussi improbables l'un que l'autre. Il s'est mis à pleuvoir, pour couronner le tout, et ça fait une heure que je patauge dans la boue, complètement détrempée, avec une pelle qui doit peser au bas mot dix kilos.
- Eva, viens voir ça ! me crie Etan au bout de quelques minutes.
Qu'est-ce qu'il veut encore ?
Je le rejoins de l'autre côté de l'appareil en me retenant d'une main à la carlingue du vaisseau pour ne pas glisser dans la boue argileuse. Les bras croisés et un air perplexe sur le visage, il semble observer la partie du vaisseau qu'il a dégagée. Je le regarde, un sourcil levé. Il me fait signe de jeter un œil également. En levant la tête, j'aperçois un immense logo peint en rouge sombre. Zomba Transports. Ça me dit quelque chose…
- Tu sais ce que ça veut dire ? me demande Etan en se grattant la tête.
- Pas la moindre idée...
Si, ça me revient !
- Zomba Transports ! Formidable. Vraiment formidable !
Je suis prise d'un fou rire nerveux.
- C'est vraiment le bouquet ! Je fais en essuyant mes larmes de rire.
- Qu'est-ce qui se passe ? demande Etan en me regardant comme si j'avais perdu la tête.
- Rien, à part que si jamais on arrive à faire décoller cette poubelle, on aura plus qu'à prier pour que personne ne trouve bizarre de voir voler le vaisseau d'une compagnie marchande qui a disparu depuis des années !
- Un vaisseau de transport de marchandises ? Répète-t-il, abasourdi.
- A ce stade là, ça s'appelle même plus de la malchance, je grommelle pour moi-même en donnant un coup de pied dans un caillou pour l'envoyer voler au loin.
- Dans ce cas-là, poursuit Etan qui ne m'a pas entendue, il y a une bonne nouvelle : ce sont les plus simples à piloter, pas besoin d'être un génie pour ça. Même à toi, ça devrait pas te poser de problème.
- Très drôle. Je suppose qu'il y a aussi une mauvaise nouvelle ?
- La mauvaise… C'est que si c'est si simple à piloter, c'est parce que ce n'est ni très puissant, ni très rapide. C'est pour transporter de la marchandise, ils n'ont pas besoin d'atteindre des vitesses astronomiques…
- D'autant plus avec celui-là qui est cloué au sol ! Je m'énerve, agacée par son calme. Et de toute façon, aucun de nous deux ne sait piloter !
- Tu m'as dit que tu l'avais déjà fait, la dernière fois…
- UNE fois ! je répète, excédée.
- Ce qui fait de toi la plus qualifiée de nous deux.
- Sur quelle planète tu vis ? Il a beau être le moins complexe, c'est tout de même un vaisseau, ça se conduit pas comme une voiture !
C'est à croire qu'il le fait exprès.
- Tu comptes rester là ou tu vas m'aider ? demande-t-il en me voyant jeter la pelle avec mauvaise humeur.
- Tu ne vois pas que c'est inutile ? Ça. Ne. Marchera. PAS. On n'arrive même pas à trouver l'entrée, comment tu veux qu'on le fasse décoller ?
- Si tu restes ici, c'est certain qu'on ne va pas avancer. Écoute, je suis sûr que si on arrive au bout de tout ça on va trouver une solution.
- Et moi, je ne crois pas aux miracles, je lui lance en m'asseyant contre le mur de terre qu'il reste encore à déblayer avant d'atteindre la coque.
Je suis surtout complètement crevée. Furieuse, lasse, à bout de nerfs et crevée. Etan hoche la tête et se remet à creuser à côté de moi. En silence, Dieu merci. Quand il en aura marre, il m'écoutera peut-être. Il rêve, celui-là, je ne comprends toujours pas ce qu'il cherche à tirer de cet engin. Il faut trouver un moyen de retourner à Balamb sans se faire voir. Ca prendra encore des jours, le temps d'arriver là-bas, mais tant pis… Il faut aussi espérer que…
Tout a coup, le mur de terre derrière moi s'effondre, et je perds l'équilibre, m'enfonçant dans le vide. Je roule sur moi-même sans pouvoir m'arrêter sur une petite pente, et j'arrive sur une surface plate où j'atterris sans douceur sur le dos.
J'ai de la terre plein le visage, et je suis presque sûre d'en avoir avalé. Je me redresse en toussant sans pouvoir retenir un gémissement de douleur lorsque ma colonne vertébrale se rappelle à mon bon souvenir. Je crois que je vais rester assise un moment, finalement... Il fait noir tout autour de moi, sauf une petite ouverture à quelques mètres au dessus de moi, par laquelle j'ai dû passer et qui fait entrer un peu de lumière ; j'aperçois la tête d'Etan qui s'est penché vers moi.
- Est-ce que ça va ? me crie-t-il.
J'ai le dos en compote, à part ça tout est parfait.
- Je crois que j'ai trouvé l'entrée, je grommelle en me relevant avec difficulté.
Dans une telle obscurité, j'aime autant éviter de bouger, ou je suis sûre de me casser quelque chose. Etan déblaye un peu plus le passage, puis repasse sa tête par l'ouverture.
- Où est-ce que tu es ? je ne te vois pas !
- Je ne me vois pas non plus, si tu veux savoir…
- Bon, attends un instant, je reviens.
Et où-est-ce qu'il voudrait que j'aille? Pff… Il disparaît un moment, puis réapparaît en brandissant une petite lampe de poche.
- Plus à droite. Ma droite ! un peu plus bas…
Il me trouve enfin et me plante la lumière dans les yeux.
- Ok, attrape !
Il me lance la lampe qui atterrit à deux bons mètres de moi, disparaît à nouveau, envoie les sacs et saute, une autre lampe à la main. Ces lampes ne sont pas très puissantes, mais au moins on voit où on met les pieds. Pas de doute, on est bien à l'intérieur du vaisseau. Il y a des tas de caisses en bois empilées un peu n'importe comment, beaucoup de terre — celle qui devait maintenir l'entrée ouverte — et une porte, au fond. Il nous faut déplacer et escalader plusieurs caisses avant de l'atteindre. Elle s'ouvre avec difficulté mais nous en venons à bout et nous engouffrons dans un long couloir. Il y a plusieurs portes, des échelles un peu partout... Par où aller?
- Tout droit. Ca va bien nous mener quelque part, propose Etan en haussant les épaules. Objectif : trouver quelque chose qui ressemble à une salle de commandes.
Et ça, c'est un candidat au Seed…
S'enfoncer dans le noir avec deux malheureuses lampes de poches et Etan pour seule compagnie a quelque chose de plutôt angoissant.
- On se croirait dans un tombeau, chuchote Etan en ouvrant plusieurs portes.
- La ferme, je murmure, nerveuse.
Je m'imagine déjà des zombies surgissant des portes, des monstres prêts à nous sauter dessus se planquant dans chaque coin ombre. Les monstres, ça ne me dérange pas, mais c'est le fait qu'ils puissent venir tout d'un coup de n'importe où qui m'embête.
Vu de l'intérieur, le vaisseau a l'air encore plus grand. Et si on considère les échelles qui mènent aux niveaux inférieurs, le vaisseau doit être sacrément bien enterré. Je suis découragée d'avance en pensant aux heures qu'il va encore nous falloir pour finir de le débloquer. J'ouvre plusieurs portes, au hasard. Je crains de plus en plus une mauvaise surprise, même s'il est évident que si nous avons eu tant de mal à entrer, personne n'a pu le faire avant nous. Pas de trace de squelette ou de corps en décomposition, en tout cas, c'est plutôt bon signe. J'ai l'impression de devenir complètement parano, le moindre bruit me fait sursauter. Même si à l'origine, c'est nous qui en sommes à l'origine.
On se retrouve face à un mur. C'est un cul de sac. Bon, ben… Demi tour. Plus loin, nous grimpons à une échelle en acier fixée au mur. On débouche dans un nouveau couloir lui aussi très sombre. À la lueur de la lampe torche, on aperçoit des tas de papiers qui traînent un peu partout. Nous entrons dans différentes petites pièces et reconnaissons une cuisine, des vestiaires... Nous faisons encore demi-tour, tournons plusieurs fois, revenons de nouveau sur nos pas. Je ne sais même plus de quel côté est censé être l'avant de l'appareil.
Nous arrivons dans un grande salle un peu plus claire, grâce à un grand pare brise en verre que nous avons plus ou moins bien dégagé qui laisse entrer un peu de lumière. Juste en dessous se trouve un tableau de commande immense, avec plein de boutons, et en face, des sièges. Logiquement, ça doit être le cockpit. Etan me tend sa lampe pour que je l'éclaire, et il s'affaire sur les claviers. Rien ne répond.
- Etan, ce n'est pas en tapant dessus comme ça que tu vas réussir à l'allumer.
- Eva, ce n'est pas en te contentant de me regarder faire que ça va fonctionner, répond-t-il du même ton. Aide-moi au lieu de rester plantée là.
- Je t'ai déjà dit que je n'y connaissais rien !
- Doit bien y avoir un truc qui fonctionne tout de même, dit-il en appuyant frénétiquement sur toutes les touches à la fois.
Je me m'approche néanmoins du tableau de commande. Réfléchissons. Je n'ai piloté qu'une fois, mais j'ai souvent vu Zell le faire. Sur quel bouton appuyait-il pour mettre en marche le vaisseau déjà ? Non, c'était un levier. Je me penche sur le clavier et souffle un bon coup pour faire s'envoler la poussière. Il y a des inscriptions à côté des différents boutons, toutes plus mystérieuses et incompréhensibles les unes que les autres. Ah, light ! C'est déjà ça. J'appuie, et quelques secondes plus tard, tout le vaisseau se met à trembler bruyamment. Etan se tourne vers moi, alarmé.
- Qu'est-ce qui se passe ? me demande-t-il. Qu'est-ce que tu as fait ?
La salle s'éclaire soudain.
- Tu vois ! s'exclame-t-il. Je savais bien que ça fonctionnerait !
Tout s'éteint immédiatement. Je retiens – dans un effort surhumain – un commentaire cinglant, et Etan se repenche sur la console sans un mot. Rien ne bouge, même en appuyant à nouveau sur le bouton light. Je lui laisse sa lampe et je vais inspecter le reste de la salle en attendant qu'il ait finit de s'acharner inutilement.
L'intérieur est plutôt en bon état, malgré un certain désordre. Je me demande ce qu'il s'est passé pour que que le vaisseau finisse ici, et ce que sont devenus les occupants. Je trouve une carte affichée sur un de mur au fond de la pièce. Le plan du vaisseau, apparemment. Je passe sur la vitre qui le protège un vêtement qui traînait par terre pour enlever la poussière. Apparemment, il y a cinq grandes pièces pour stocker les marchandises, nous avons dû entrer par celle en bas à gauche, si je ne me trompe pas. Et il semble que la salle des machines se trouve juste en dessous de celle où nous nous trouvons en ce moment. Pendant que l'autre idiot s'acharne toujours sur les commandes pour essayer de rétablir le courant, je cherche des yeux la porte qui mène à l'étage en dessous qu'indique le plan. Il y a une trappe, là-bas. Je l'ouvre sans trop de difficultés et je me penche en scrutant l'obscurité. Ma lampe éclaire vaguement quelques formes noires. Mais ça ne peut être que ça. Etan s'approche et s'accroupit à côté de moi.
- La salle des machines ?
- Oui. Ce sera tout de même plus utile de voir ce qui ne marche pas dans le moteur avant de détruire totalement les commandes.
Nous descendons l'échelle métallique, et inspectons les machines.
- Le moteur est plus grand que moi… soupire Etan, désespéré. Comment savoir ce qui ne marche pas ?
- Laisse, je m'en occupe.
Il se tourne vers moi, étonné.
- Je croyais que tu n'y connaissais rien ?
- J'ai dit que je n'avais piloté qu'une fois, mais j'ai souvent aidé Zell a entretenir le moteur de l'Hydre.
- Ça ne doit pas grand chose à voir, fait-il remarquer en regardant la machine qui doit bien avoir trois fois l'âge de l'Hydre.
- On verra bien. Éclaire-moi, c'est tout ce que te demande.
Nous explorons rapidement la salle des machines. J'ai réussi à repérer le générateur d'énergie et il fonctionne. Techniquement, il se peut donc très bien que l'appareil fonctionne. Il ne me faut pas longtemps avant de comprendre ce qui ne va pas. La pièce qui est justement censée transmettre l'énergie à tout le reste de l'appareil est cassé. De plus, la ventilation est complètement bouchée par la poussière, et on risque la surchauffe si on ne fait rien. Heureusement, il ne s'agit que de détails faciles à régler. Il y a aussi d'autres pièces cassées, mais ça devrait être facile à remplacer si…
- Et où est-ce que tu comptes trouver les pièces ? demande Etan, une fois que je lui expose la situation.
- Je vais les emprunter.
- Jeff ne voudra jamais, je suppose que tu t'en doutes.
- Je n'avais pas l'intention de lui demander son avis.
- Tu ne vas pas voler les pièces, quand même ?
- Je vais me gêner !
Etan considère la question quelques secondes avant d'admettre :
- Oh et puis, t'as raison…
Au vu des évènements et du personnage, je ne m'embarrasserai pas de ce genre de scrupules…
Nous sortons de l'appareil – en nous perdant deux fois de suite - nous nous glissons dans le hangar, ouvrons les moteurs d'autres appareils restés là, et « empruntons » les pièces qui nous manquent. Elles ne sont pas prévues pour ce modèle de moteur qui est beaucoup plus ancien, mais j'arrive quand même à les assembler. Maintenant, si quelque chose ne marche pas, je ne peux pas faire plus. Etan a aussi reformé de son mieux le devant du vaisseau et consolidé la coque de l'appareil, histoire qu'il ne tombe pas en morceaux pendant le vol. Je vérifie deux fois que tout est en place, et nous remontons dans le cockpit, couverts de poussière et de cambouis. La douche attendra des jours meilleurs, nous n'avons pas l'intention de passer une minute plus que nécessaire ici. Etan prend une longue inspiration avant d'appuyer sur le bouton pour allumer la lumière. L'appareil se met à trembler, et nous attendons pétrifiés pendant une minute ou deux. La lumière s'allume enfin, mais nous n'osons rien dire, de peur d'être déçus.
- Ça marche, sourit Etan en se détendant finalement. Le reste devrait aller, maintenant. Beau boulot. Allez, en place. Votre fauteuil n'attend que vous, Capitaine, fait-il en me montrant le siège du pilote.
Je me sens pâlir.
- Je t'aurais prévenu, je maugréé en m'asseyant. Quand on s'écrasera en plein océan, tu ne pourras pas dire que c'est de ma faute…
J'ai des sueurs froides rien qu'à m'imaginer commander ce vaisseau. Je nous vois déjà tomber à pic et nous écraser… Foncer dans une montagne sans pouvoir nous arrêter… Exploser en plein vol… Du calme, respire. Il a dit que c'était facile à piloter… le plus simple des vaisseaux…
Quelle andouille ! Qu'est-ce qu'il raconte ? Un vaisseau, facile à piloter ! Qu'est-ce qu'il en sait, d'abord ? J'essaie désespérément de rassembler mes esprits, et de me souvenir de ce que j'ai fait la dernière fois avec Zell. Il y a bien quelques trucs qui me reviennent, mais…
Etan va s'asseoir sur le siège d'à côté, mais je sais bien qu'il ne me sera d'aucun secours si quelque chose ne va pas. Il me lance un regard qui se veut rassurant, mais qui masque à peine sa terreur. Maintenant, c'est à moi d'assurer. Je fais une courte prière avant de me lancer. J'actionne prudemment le levier, et je sens le vaisseau vibrer tout autour de nous. Pourvu que ça ne tombe pas en morceaux. Non, ça suffit, je me concentre sur ce qui se passe devant moi. Je relève encore un peu la commande, et cette fois, nous décollons vraiment, en soulevant un immense nuage de poussière. La terre tombe du toit du vaisseau et glisse sur le pare-brise, avant de tomber plus bas. Le vaisseau tangue légèrement ; je bloque le levier et active prudemment une autre manette qui doit, si je me souviens bien, nous faire avancer. Le vaisseau s'élève dans les airs, et j'ai l'impression que parcourir ces quelques mètres prend des siècles. Nous arrivons au dessus de la mer. C'est le moment de vérité. Etan déglutit péniblement et s'agrippe à son siège en tentant de faire comme si de rien n'était.
Contrairement à ce que je craignais, nous ne tombons pas à pic, mais restons au même niveau , et ça procure un sentiment étrange. Je PILOTE ce vaisseau ! Soulagée, je continue à avancer. Etan semble s'être remis à respirer. Appuyant un peu plus sur le levier, j'arrive à accélérer. Nous commençons à nous détendre après avoir parcouru quelques dizaines de mètres au dessus de la mer. Je vérifie la destination, c'est bien la direction de Trabia. Ça ne doit pas être bien loin, de toute façon, on devrait vite atteindre la rive, et après, on verra bien.
- Eva, il y a quelque chose qui nous suit, fait Etan d'une voix blanche.
- Quoi ? Tu es sûr?
Il me montre le radar, mais j'ai tellement peur qu'on s'écrase si je relâche ma concentration sur le pilotage que je n'arrive pas à bien voir ; et puis je n'ai jamais appris à utiliser un radar…
- Où ça ? je m'énerve. Comment on voit les distances sur ce truc ?
- Euh… j'en sais rien, mais en tout cas ça se rapproche.
- Mais c'est qui ?
- Je sais pas, je peux pas voir derrière le vaisseau. Il est où le rétroviseur ?
- Etan, j'ai beau ne pas m'y connaître beaucoup, je peux t'affirmer que tu n'en trouveras pas.
- Alors je vais voir.
- Où ça ? Où est-ce que tu vas ?
- Attends-moi ici.
Vraiment hilarant.
Il se détache et sort. Je l'entends courir dans le couloir, et je tente de conserver mon sang-froid, tant bien que mal. Il revient cinq minutes plus tard.
- Des Esthariens, souffle-t-il en se rasseyant.
A son ton, je comprends qu'il s'y attendait. Des Esthariens. Merde, merde, merde.
- Accélère. On n'a rien pour se défendre, et je doute que le vaisseau tienne longtemps le coup s'ils nous attaquent.
- Parce que tu crois vraiment qu'on pourra les semer ? Tu te rappelles dans quoi on est ?
- Accélère quand même.
- Je suis déjà à fond !
- Déjà ?
Il se penche sur le panneau de contrôle, les sourcils froncés.
- On est trop lourds avec les caisses, ça nous ralentit, murmure-t-il. On aurait dû vider les salles de réserve avant de partir.
- Ça nous aurait pris des jours à jeter tout ça ! On n'avait pas le temps. Lourd ou pas, c'est pas avec cet appareil qu'on serait passés inaperçus. Pense plutôt à ce qu'il faut faire maintenant.
- Si tu as une idée, c'est le moment.
- Tu crois qu'ils savent qui on est?
- Je ne sais pas ; ils ne nous ont pas encore attaqué, c'est plutôt bon signe, je suppose… C'est quoi, ce bruit ?
Une grande sirène retentit. Affolée, je mets une minute à comprendre que ça ne vient pas de notre vaisseau qui souhaiterait par là annoncer une explosion imminente, mais de notre poursuivant. Sur le radar, la forme se rapproche dangereusement de notre vaisseau, jusqu'à le dépasser légèrement. On aperçoit les pilotes par le pare-brise, et apparemment, ils essaient de jeter un oeil à l'intérieur de notre cockpit. Etan et moi nous nous tassons sur nos sièges. On est fichus. À grands geste, ils nous font signe d'allumer la radio. Ils sont marrants, il y a longtemps qu'elle ne fonctionne plus… Ils se penchent vers leur panneau de contrôle, et une voix forte se fait entendre.
- Veuillez arrêter votre vaisseau. Nous allons procéder à un contrôle.
- On est mal, murmure Etan, nerveux. S'ils ne savent pas déjà que le vaisseau n'est pas censé voler, ils vont comprendre quand ils nous demanderont ses papiers et notre autorisation de vol. Continue.
Je réussis à repasser devant – parce que leur vaisseau n'est pas à fond - mais ils nous collent.
- On arrivera jamais à les semer et ils ne nous lâcheront pas. On a quelque chose pour se défendre ?
- Etan, on est sur un vaisseau marchand, pas de guerre. Et d'ici, c'est pas avec nos petits poings qu'on va arriver à grand chose.
Puis j'ai une idée.
- Les G-Forces ! Il faut que l'un de nous deux aille à l'arrière, ouvre une des portes et fasse appel à son G-Force, pour éviter qu'il n'apparaisse dans le vaisseau et ne nous fasse exploser nous.
- Très bien, je t'attends ici, répond Etan en se rembrunissant.
- Ok, par l'un de nous deux, j'entendais toi, je rétorque en levant les yeux au ciel. Je ne peux pas encore me dédoubler, et je suis en train de conduire, figure-toi. Je croyais que tu ne savais pas piloter ?
- Non mais… Ton G-Force serait plus efficace que le mien, hésite-t-il.
Mais qu'est-ce qui lui prend ? Son G-force fait tout à fait l'affaire, il le sait bien ! Il cache quelque chose. Je ne crois pas que ce soit qu'il ait peur, il est à peu près aussi rentre-dedans que moi, il n'a jamais été effrayé par un combat. Et il sait bien que je ne peux pas lâcher ces fichues commandes. Tout à coup, une grande secousse se fait sentir. Le vaisseau chute de quelques mètres avant que j'arrive à reprendre le contrôle.
- Ces malades nous tirent dessus ! Je m'exclame en m'arquant contre le levier pour rétablir l'équilibre du vaisseau. Etan !
Il se lève alors et sort de la cabine en courant. Pas trop tôt.
Les Esthariens nous tirent de nouveau dessus et je perds à nouveau le contrôle de l'appareil. Bon sang, on va s'écraser, si ça continue ! J'arrive à remonter légèrement, mais c'était juste ; cette fois, on a bien failli se crasher dans l'océan, et à cette vitesse, je n'aurais pas donné cher de nos peaux... Mais qu'est-ce qu'Etan attend ??
Un voyant lumineux rouge s'allume devant moi, signalant l'ouverture d'une des portes, celle du côté droit, là où se trouve le vaisseau estharien. Le ciel prend des couleurs orangées sur ma droite, et j'entends une explosion. Le vaisseau estharien disparaît du radar, et quelques minutes plus tard, Etan arrive dans la cabine, en sueur, et s'affale sur son siège.
- Voilà. C'est fait.
- Y'a un autre problème. Je sais pas ce qu'ils ont touché mais on continue à perdre de la hauteur…
-… Mais on gagne en rapidité ? remarque-t-il, ahuri, en regardant le compteur.
- Ca, c'est parce qu'on est en train de s'écraser.
- Fait ton possible pour nous maintenir en hauteur, je reviens, je vais essayer quelque chose .
- Quoi ? Qu'est-ce que tu …
Il sort de nouveau. C'est pas bon, pas bon du tout. On descend trop vite. Il aura fallu ça pour gagner de la vitesse, je m'en serais passée, en fin de compte. Et le vaisseau a tendance à pencher sur la droite, ce qui nous dévie de notre trajectoire. Je n'arrive pas à rétablir l'équilibre, les commandes tirent trop. Tous les voyants lumineux clignotent furieusement sur le panneau de contrôle à ma gauche. Question à 10 000 gils : est ce-qu'il est plus dangereux de s'écraser sur la terre ou dans l'eau ? C'est les seules options qu'il me reste. Mais que fiche Etan ?
Certains voyants lumineux s'arrêtent soudain de clignoter. Bon, c'est déjà ça, Etan a du réussir à régler quelques-uns des problèmes. Mais ceux-là, c'est quoi ? Comment je peux savoir s'il faut faire un truc en particulier ? Je peux pas m'occuper de dix trucs en même temps, bon sang. Peut-être que ces boutons... Mais, levant soudain les yeux du panneau de commande, je me sens me liquéfier. Une falaise. Droit devant. Droit devant, et tout près. Dans un sursaut de panique, je me dresse et tire de toutes mes forces sur le levier pour nous faire remonter, mais il est trop tard, et le bas de l'appareil heurte un rocher dans un grand fracas métallique qui me pétrifie. Le vaisseau, ralenti, se met à glisser sur le côté toute la largeur de la falaise, et cette fois nous tombons dans le vide juste derrière.
Une grande lumière blanche envahit la cabine juste avant que nous nous écrasions, m'obligeant à me protéger les yeux. Je me sens projetée de mon siège, comme tirée vers le haut par un élastique géant au moment où on entend un grand fracas.
Lorsque j'ouvre les yeux, je flotte dans les airs cinq mètres au-dessus de mon siège. Toute la cabine qui se trouvait au dessus de moi est complètement détruite, comme si une version extra-extra-large de moi l'avait traversée. Il y a plein d'éclats de glace un peu partout. Je lève les yeux. Face à moi, Sheba. Malgré mon hébétude, je fais vite le rapprochement. Elle m'a sauvée. Mais elle n'est pas comme d'habitude. Elle paraît… Plus pale, presque transparente. Qu'est-ce qui se passe ?
Avant que j'aie pu ouvrir la bouche pour l'interroger, elle me fait redescendre. Je reste calme malgré un léger vertige, et elle me pose avec précaution à l'intérieur de la cabine. Tout est complètement détruit. Sheba a tout fait exploser autour d'elle, comme d'habitude, la pièce est un vrai carnage. Je me demande ce qui, de la chute ou Sheba, a fait le plus de dégâts. Mais je ne m'en plaindrai pas. Je réalise soudain que je suis en train de marcher sur un des murs, en fait. Le vaisseau est couché sur le côté droit, tout est sens dessus dessous. Ça va être pratique pour trouver la sortie.
Sheba s'est posée à quelques pas de moi, et remonte vers la porte comme s'il n'y avait rien de plus facile que de glisser sur un mur vertical pour le monter. Elle sort de la pièce lentement, pour s'assurer que je ne la perde pas des yeux, se retourne vers moi et remue les lèvres avant de disparaître.
- Etan ! Je sursaute en comprenant.
Mais où est-il passé ? Tout est silencieux… Et si…? Je me dépêche de sortir, d'une démarche bien moins élégante et aisée que mon G-Force, naturellement. Moi, je dois grimper en m'aidant des sièges pour atteindre la porte. Je me hisse par la porte en tirant sur mes bras, et j'arrive dans le couloir. Bon, de quel côté il a bien pu aller ? J'ai déjà du mal à m'y repérer normalement, mais là… Il me faut aussi faire attention à ne pas tomber par les portes qui sont devenues des trappes bien peu résistantes.
- Etan ? J'appelle. ETAN !
Pas de réponse. C'est pas vrai... Il est forcément allé vers l'arrière, mais est-ce qu'il est descendu, resté au même niveau, ou monté ? Et dans quelle pièce est-il ? S'il est encore vivant, je tue ce crétin de mes propres mains !
Je me glisse par l'endroit où se trouve l'échelle, et Sheba apparaît à nouveau, ce que je prends pour un bon signe ; elle se déplace en flottant avec légèreté dans le couloir en l'illuminant, me montre une porte puis disparaît à nouveau. Je m'accroupis pour ouvrir avec précaution.
Tout en bas je vois à nouveau Sheba, dans son apparence habituelle, cette fois. Elle éclaire la salle, debout près d'Etan. Il est immobile, allongé sur des caisses dans une position que me paraît peu rassurante. Je me laisse glisser prudemment sur le sol, en m'accrochant à ce que je peux pour éviter de lui tomber dessus, et j'arrive à côté d'Etan. Je dégage les caisses pour avoir de la place, m'accroupis à ses côtés et, la main légèrement tremblante, je cherche son pouls. Un soupir de soulagement m'échappe. Il est vivant ! M'assurant qu'il n'ait aucun os fracturé qui rendrait un déplacement dangereux, je le retourne sur le dos. Pas la moindre égratignure. À peine décoiffé. Soit c'est le gars le plus chanceux que je connaisse, soit... Sheba est toujours à côté et me regarde intensément, comme pour me faire passer un message. Non, ce n'est quand même pas elle qui… ? Elle était avec moi au moment où le vaisseau s'est écrasé ! Et pourtant… une légère brume flotte autour de nous, des éclats de glace illuminent la pièce au gré des rayons de soleil. Sheba a protégé Etan ? En même temps que moi ? Comment ? Et pourquoi, alors que je ne lui ai pas donné le moindre ordre ?
Bon, une chose à la fois. Déjà, sortir d'ici. Je n'aurai jamais la force de traîner Etan jusqu'à la sortie, ça c'est clair. Pas question de le faire remonter jusqu'à la porte et de le trainer dans les couloirs jusqu'à ce que je trouve une issue. Nous sortirons directement ici, et s'il n'y a pas de porte, eh bien Sheba n'aura qu'à la créer. Je lui demande de détruire – ce qu'elle fait le mieux - le mur qui se trouve à côté de nous. Quelque chose me dit qu'il ne vaut mieux pas traîner ici. Les cris des personnages des séries télévisées criant "ça va exploser !" me reviennent en tête, et je n'ai pas vraiment envie de rester ici pour vérifier si c'est réellement de la fiction. Ces considérations pratiques en entrainant d'autres, je me rappelle soudain que j'ai oublié de récupérer nos sacs. Que nous avions rangés dans la cabine. Qui a été pulvérisée.
- Sheba, surveille-le, je reviens tout de suite.
Elle me renvoie un regard serein, grave et immobile debout à côté d'Etan toujours inconscient. Je suppose que je ne peux pas vraiment espérer une réponse plus explicite...
Je me dépêche de grimper vers la porte, retourne dans la cabine, récupère les sacs que nous avions rangé dans une armoire métallique heureusement restée intacte, puis je retourne rejoindre les autres. Je jette les sacs par le trou béant qu'a créé Sheba, puis je prends Etan par dessous les épaules pour le traîner à l'extérieur. Je le tire de mon mieux sur une centaine de mètres, jusqu'à ce qu'on soit à une distance raisonnable de l'appareil en cas de problème. Épuisée, je laisse tomber les sacs et j'allonge la Belle au Bois Dormant dans la petite zone d'ombre que procure la falaise. Etan n'a même pas tressailli, et si sa poitrine ne se soulevait pas à intervalles réguliers - quoiqu'avec difficulté - je ne me poserais même pas de questions. Mais le visage d'Etan est blême, de la sueur perlant sur son front. Il a forcément quelque chose, il ne peut pas n'être qu'évanoui. Soucieuse, je m'accroupis à ses côtés et entreprends à nouveau de vérifier si ses os sont intacts. Je ne peux m'empêcher de songer avec horreur que si je me suis trompée tout à l'heure, les dommages pourraient être irréversibles, avec la façon dont j'ai déplacé Etan. Je manipule son crane avec une précaution infinie, à la recherche d'une éventuelle fêlure – qui se révèlerait désastreuse pour lui. Je ne sens rien, dieu merci. La nuque semble elle aussi intacte, il n'a aucune côte cassée ; les bras et les jambes vont bien. Dernière difficulté, la colonne vertébrale. Là aussi, ça pourrait être catastrophique si j'étais passée à côté d'une fracture. Je tâte chaque vertèbre, attentive à la moindre irrégularité. Soulagée, je recouche Etan sur le dos après avoir remis sa veste et son t-shirt en place. Je n'ai rien aggravé, au moins. Mais qu'est-ce qui cloche, alors ? Il faudrait de l'eau, au moins. Je jette un oeil à l'endroit où nous nous trouvons, pour la première fois depuis les vingt minutes où je me suis misérablement écroulée ici.
Parfait. On a atterri dans un désert. Pas une coin d'ombre à des kilomètres, en dehors de celle que procure encore la falaise immense à laquelle je suis adossée. Où est-ce qu'on a bien pu tomber ? Réfléchis, Eva. Nous dérivions légèrement vers le sud, tant que nous étions poursuivis, mais après que nous ayons été touchés, ce n'était pas ce qui me préoccupait le plus. À quel point est-ce qu'on a pu dériver par la suite ? Impossible de me remettre les détails en tête. La panique, le choc de l'accident... je me sens vraiment trop k.o. pour réfléchir. Un mouvement sur le côté attire mon attention : Etan remue et semble se réveiller. Je me rapproche à quatre pattes.
- Est-ce que ça va ?
- Bel atterrissage, Capitaine, sourit-il faiblement.
- C'est ça, fais le malin, je grogne, le soulagement me rendant toute ma irritabilité. Toi, si t'étais pas à deux doigts de passer l'arme à gauche, je sais pas ce que je te ferais ! Faut être complètement inconscient pour sortir comme ça alors que …
- S'il te plait, s'il te plait, du calme, gémit-il. Je suis vraiment à deux doigts de passer l'arme à gauche, alors on remettra ça, tu veux...
Il s'assoit en grimaçant.
- Tu as mal quelque part ? Je demande.
- Partout. Ça fait combien de temps qu'on est là ? demande-t-il en se passant la main sur le visage.
- J'en sais rien. Une demi-heure peut-être. Partout comment ?
- Comme si je n'étais pas dans le vaisseau quand il s'est crashé, mais dessous.
Il aperçoit le vaisseau.
- Wow. Là, c'est une épave.
- C'est pas avec lui qu'on repartira, j'espère que cette fois tu es d'accord
- Sans problème.
- J'arrive pas à croire qu'on soit entiers, je soupire.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? Toi, tu étais attachée dans la cabine, mais moi j'étais au milieu des caisses en bois, c'est un miracle que …
- Remercie Sheba, mon G-force.
- Pourquoi tu me l'as envoyée ?
- Je ne t'ai rien envoyé du tout ; c'est elle qui est venue toute seule, je ne sais pas pourquoi.
Silence. Il se laisse retomber sur le dos.
- Tu devrais manger un peu, dis-je en lui tendant son sac.
- Donne-moi juste ma gourde, ça ira.
Je fouille son sac et en sors une gourde bleue qu'il porte lentement à ses lèvres. Je cherche également ma gourde pour m'asperger le visage.
Silence à nouveau. J'observe le paysage, une immense plaine désertique. Dans quel pétrin on s'est encore fourrés ? On ne peut apercevoir aucune ville d'ici ; le désert devant, une falaise derrière, et derrière cette falaise, la mer.
- Tu sais où on est ? je demande à tout hasard.
- Comme ça, là, non. Et il faudrait que je sache la direction qu'on a pris.
- En tout cas, on est pas à Trabia. Je crois bien que ça nous a éloignés.
- Et ça nous aurait éloigné de quel côté , tu crois ? demande-t-il d'un air méfiant.
- Je n'en suis pas sûre, mais je crois qu'on a dérivé vers le sud, et donc…
- Et donc, plutôt du côté d'Esthar, conclut Etan en se passant la main sur le visage.
*
Commentaire de l'auteur :
Pas de grande grande modification dans ce chapitre, en dehors du passage où Eva s'inquiète un peu plus d'Etan. Je me suis dit que ce serait pas plus mal de la rendre un peu plus humaine. Et des descriptions refaites, dans une tentative de mieux faire imaginer ce qui se passe.
À la prochaine !
A la lumière du jour, la situation semble un tantinet moins désastreuse que la veille. Nous avons piqué deux pelles et deux balais dans le hangar, et nous nous sommes attaqués à nouveau au déblayage du vaisseau. La partie supérieure est dégagée assez rapidement, il ne reste plus que le bas qui soit encore enseveli ; et si l'appareil n'est pas en excellent état, c'est tout de même moins catastrophique que ce que je pensais. Les vitres sont intactes, le toit ne semble pas fissuré. L'avant est enfoncé, mais il ne s'agit probablement que de la coque, il se peut très bien que l'intérieur n'ait pas subi de dégâts ; auquel cas, il suffira de quelques coups de masse pour la redresser. Il faudra aussi renforcer la coque sur les côtés, par précaution. Par contre, l'entrée, elle, est toujours introuvable. Nous continuons de creuser pour dégager l'appareil, et plus nous creusons, plus nous constatons à quel point il est immense, et plus je commence à craindre qu'il ne soit profondément enterré.
J'y crois pas, voilà que je me mets à rêver debout comme Etan… Quand bien même nous arriverions à dégager le vaisseau, il faudrait d'un : qu'il soit encore en état de voler ; et de deux : que nous parvenions à le contrôler ; et les deux me paraissent aussi improbables l'un que l'autre. Il s'est mis à pleuvoir, pour couronner le tout, et ça fait une heure que je patauge dans la boue, complètement détrempée, avec une pelle qui doit peser au bas mot dix kilos.
- Eva, viens voir ça ! me crie Etan au bout de quelques minutes.
Qu'est-ce qu'il veut encore ?
Je le rejoins de l'autre côté de l'appareil en me retenant d'une main à la carlingue du vaisseau pour ne pas glisser dans la boue argileuse. Les bras croisés et un air perplexe sur le visage, il semble observer la partie du vaisseau qu'il a dégagée. Je le regarde, un sourcil levé. Il me fait signe de jeter un œil également. En levant la tête, j'aperçois un immense logo peint en rouge sombre. Zomba Transports. Ça me dit quelque chose…
- Tu sais ce que ça veut dire ? me demande Etan en se grattant la tête.
- Pas la moindre idée...
Si, ça me revient !
- Zomba Transports ! Formidable. Vraiment formidable !
Je suis prise d'un fou rire nerveux.
- C'est vraiment le bouquet ! Je fais en essuyant mes larmes de rire.
- Qu'est-ce qui se passe ? demande Etan en me regardant comme si j'avais perdu la tête.
- Rien, à part que si jamais on arrive à faire décoller cette poubelle, on aura plus qu'à prier pour que personne ne trouve bizarre de voir voler le vaisseau d'une compagnie marchande qui a disparu depuis des années !
- Un vaisseau de transport de marchandises ? Répète-t-il, abasourdi.
- A ce stade là, ça s'appelle même plus de la malchance, je grommelle pour moi-même en donnant un coup de pied dans un caillou pour l'envoyer voler au loin.
- Dans ce cas-là, poursuit Etan qui ne m'a pas entendue, il y a une bonne nouvelle : ce sont les plus simples à piloter, pas besoin d'être un génie pour ça. Même à toi, ça devrait pas te poser de problème.
- Très drôle. Je suppose qu'il y a aussi une mauvaise nouvelle ?
- La mauvaise… C'est que si c'est si simple à piloter, c'est parce que ce n'est ni très puissant, ni très rapide. C'est pour transporter de la marchandise, ils n'ont pas besoin d'atteindre des vitesses astronomiques…
- D'autant plus avec celui-là qui est cloué au sol ! Je m'énerve, agacée par son calme. Et de toute façon, aucun de nous deux ne sait piloter !
- Tu m'as dit que tu l'avais déjà fait, la dernière fois…
- UNE fois ! je répète, excédée.
- Ce qui fait de toi la plus qualifiée de nous deux.
- Sur quelle planète tu vis ? Il a beau être le moins complexe, c'est tout de même un vaisseau, ça se conduit pas comme une voiture !
C'est à croire qu'il le fait exprès.
- Tu comptes rester là ou tu vas m'aider ? demande-t-il en me voyant jeter la pelle avec mauvaise humeur.
- Tu ne vois pas que c'est inutile ? Ça. Ne. Marchera. PAS. On n'arrive même pas à trouver l'entrée, comment tu veux qu'on le fasse décoller ?
- Si tu restes ici, c'est certain qu'on ne va pas avancer. Écoute, je suis sûr que si on arrive au bout de tout ça on va trouver une solution.
- Et moi, je ne crois pas aux miracles, je lui lance en m'asseyant contre le mur de terre qu'il reste encore à déblayer avant d'atteindre la coque.
Je suis surtout complètement crevée. Furieuse, lasse, à bout de nerfs et crevée. Etan hoche la tête et se remet à creuser à côté de moi. En silence, Dieu merci. Quand il en aura marre, il m'écoutera peut-être. Il rêve, celui-là, je ne comprends toujours pas ce qu'il cherche à tirer de cet engin. Il faut trouver un moyen de retourner à Balamb sans se faire voir. Ca prendra encore des jours, le temps d'arriver là-bas, mais tant pis… Il faut aussi espérer que…
Tout a coup, le mur de terre derrière moi s'effondre, et je perds l'équilibre, m'enfonçant dans le vide. Je roule sur moi-même sans pouvoir m'arrêter sur une petite pente, et j'arrive sur une surface plate où j'atterris sans douceur sur le dos.
J'ai de la terre plein le visage, et je suis presque sûre d'en avoir avalé. Je me redresse en toussant sans pouvoir retenir un gémissement de douleur lorsque ma colonne vertébrale se rappelle à mon bon souvenir. Je crois que je vais rester assise un moment, finalement... Il fait noir tout autour de moi, sauf une petite ouverture à quelques mètres au dessus de moi, par laquelle j'ai dû passer et qui fait entrer un peu de lumière ; j'aperçois la tête d'Etan qui s'est penché vers moi.
- Est-ce que ça va ? me crie-t-il.
J'ai le dos en compote, à part ça tout est parfait.
- Je crois que j'ai trouvé l'entrée, je grommelle en me relevant avec difficulté.
Dans une telle obscurité, j'aime autant éviter de bouger, ou je suis sûre de me casser quelque chose. Etan déblaye un peu plus le passage, puis repasse sa tête par l'ouverture.
- Où est-ce que tu es ? je ne te vois pas !
- Je ne me vois pas non plus, si tu veux savoir…
- Bon, attends un instant, je reviens.
Et où-est-ce qu'il voudrait que j'aille? Pff… Il disparaît un moment, puis réapparaît en brandissant une petite lampe de poche.
- Plus à droite. Ma droite ! un peu plus bas…
Il me trouve enfin et me plante la lumière dans les yeux.
- Ok, attrape !
Il me lance la lampe qui atterrit à deux bons mètres de moi, disparaît à nouveau, envoie les sacs et saute, une autre lampe à la main. Ces lampes ne sont pas très puissantes, mais au moins on voit où on met les pieds. Pas de doute, on est bien à l'intérieur du vaisseau. Il y a des tas de caisses en bois empilées un peu n'importe comment, beaucoup de terre — celle qui devait maintenir l'entrée ouverte — et une porte, au fond. Il nous faut déplacer et escalader plusieurs caisses avant de l'atteindre. Elle s'ouvre avec difficulté mais nous en venons à bout et nous engouffrons dans un long couloir. Il y a plusieurs portes, des échelles un peu partout... Par où aller?
- Tout droit. Ca va bien nous mener quelque part, propose Etan en haussant les épaules. Objectif : trouver quelque chose qui ressemble à une salle de commandes.
Et ça, c'est un candidat au Seed…
S'enfoncer dans le noir avec deux malheureuses lampes de poches et Etan pour seule compagnie a quelque chose de plutôt angoissant.
- On se croirait dans un tombeau, chuchote Etan en ouvrant plusieurs portes.
- La ferme, je murmure, nerveuse.
Je m'imagine déjà des zombies surgissant des portes, des monstres prêts à nous sauter dessus se planquant dans chaque coin ombre. Les monstres, ça ne me dérange pas, mais c'est le fait qu'ils puissent venir tout d'un coup de n'importe où qui m'embête.
Vu de l'intérieur, le vaisseau a l'air encore plus grand. Et si on considère les échelles qui mènent aux niveaux inférieurs, le vaisseau doit être sacrément bien enterré. Je suis découragée d'avance en pensant aux heures qu'il va encore nous falloir pour finir de le débloquer. J'ouvre plusieurs portes, au hasard. Je crains de plus en plus une mauvaise surprise, même s'il est évident que si nous avons eu tant de mal à entrer, personne n'a pu le faire avant nous. Pas de trace de squelette ou de corps en décomposition, en tout cas, c'est plutôt bon signe. J'ai l'impression de devenir complètement parano, le moindre bruit me fait sursauter. Même si à l'origine, c'est nous qui en sommes à l'origine.
On se retrouve face à un mur. C'est un cul de sac. Bon, ben… Demi tour. Plus loin, nous grimpons à une échelle en acier fixée au mur. On débouche dans un nouveau couloir lui aussi très sombre. À la lueur de la lampe torche, on aperçoit des tas de papiers qui traînent un peu partout. Nous entrons dans différentes petites pièces et reconnaissons une cuisine, des vestiaires... Nous faisons encore demi-tour, tournons plusieurs fois, revenons de nouveau sur nos pas. Je ne sais même plus de quel côté est censé être l'avant de l'appareil.
Nous arrivons dans un grande salle un peu plus claire, grâce à un grand pare brise en verre que nous avons plus ou moins bien dégagé qui laisse entrer un peu de lumière. Juste en dessous se trouve un tableau de commande immense, avec plein de boutons, et en face, des sièges. Logiquement, ça doit être le cockpit. Etan me tend sa lampe pour que je l'éclaire, et il s'affaire sur les claviers. Rien ne répond.
- Etan, ce n'est pas en tapant dessus comme ça que tu vas réussir à l'allumer.
- Eva, ce n'est pas en te contentant de me regarder faire que ça va fonctionner, répond-t-il du même ton. Aide-moi au lieu de rester plantée là.
- Je t'ai déjà dit que je n'y connaissais rien !
- Doit bien y avoir un truc qui fonctionne tout de même, dit-il en appuyant frénétiquement sur toutes les touches à la fois.
Je me m'approche néanmoins du tableau de commande. Réfléchissons. Je n'ai piloté qu'une fois, mais j'ai souvent vu Zell le faire. Sur quel bouton appuyait-il pour mettre en marche le vaisseau déjà ? Non, c'était un levier. Je me penche sur le clavier et souffle un bon coup pour faire s'envoler la poussière. Il y a des inscriptions à côté des différents boutons, toutes plus mystérieuses et incompréhensibles les unes que les autres. Ah, light ! C'est déjà ça. J'appuie, et quelques secondes plus tard, tout le vaisseau se met à trembler bruyamment. Etan se tourne vers moi, alarmé.
- Qu'est-ce qui se passe ? me demande-t-il. Qu'est-ce que tu as fait ?
La salle s'éclaire soudain.
- Tu vois ! s'exclame-t-il. Je savais bien que ça fonctionnerait !
Tout s'éteint immédiatement. Je retiens – dans un effort surhumain – un commentaire cinglant, et Etan se repenche sur la console sans un mot. Rien ne bouge, même en appuyant à nouveau sur le bouton light. Je lui laisse sa lampe et je vais inspecter le reste de la salle en attendant qu'il ait finit de s'acharner inutilement.
L'intérieur est plutôt en bon état, malgré un certain désordre. Je me demande ce qu'il s'est passé pour que que le vaisseau finisse ici, et ce que sont devenus les occupants. Je trouve une carte affichée sur un de mur au fond de la pièce. Le plan du vaisseau, apparemment. Je passe sur la vitre qui le protège un vêtement qui traînait par terre pour enlever la poussière. Apparemment, il y a cinq grandes pièces pour stocker les marchandises, nous avons dû entrer par celle en bas à gauche, si je ne me trompe pas. Et il semble que la salle des machines se trouve juste en dessous de celle où nous nous trouvons en ce moment. Pendant que l'autre idiot s'acharne toujours sur les commandes pour essayer de rétablir le courant, je cherche des yeux la porte qui mène à l'étage en dessous qu'indique le plan. Il y a une trappe, là-bas. Je l'ouvre sans trop de difficultés et je me penche en scrutant l'obscurité. Ma lampe éclaire vaguement quelques formes noires. Mais ça ne peut être que ça. Etan s'approche et s'accroupit à côté de moi.
- La salle des machines ?
- Oui. Ce sera tout de même plus utile de voir ce qui ne marche pas dans le moteur avant de détruire totalement les commandes.
Nous descendons l'échelle métallique, et inspectons les machines.
- Le moteur est plus grand que moi… soupire Etan, désespéré. Comment savoir ce qui ne marche pas ?
- Laisse, je m'en occupe.
Il se tourne vers moi, étonné.
- Je croyais que tu n'y connaissais rien ?
- J'ai dit que je n'avais piloté qu'une fois, mais j'ai souvent aidé Zell a entretenir le moteur de l'Hydre.
- Ça ne doit pas grand chose à voir, fait-il remarquer en regardant la machine qui doit bien avoir trois fois l'âge de l'Hydre.
- On verra bien. Éclaire-moi, c'est tout ce que te demande.
Nous explorons rapidement la salle des machines. J'ai réussi à repérer le générateur d'énergie et il fonctionne. Techniquement, il se peut donc très bien que l'appareil fonctionne. Il ne me faut pas longtemps avant de comprendre ce qui ne va pas. La pièce qui est justement censée transmettre l'énergie à tout le reste de l'appareil est cassé. De plus, la ventilation est complètement bouchée par la poussière, et on risque la surchauffe si on ne fait rien. Heureusement, il ne s'agit que de détails faciles à régler. Il y a aussi d'autres pièces cassées, mais ça devrait être facile à remplacer si…
- Et où est-ce que tu comptes trouver les pièces ? demande Etan, une fois que je lui expose la situation.
- Je vais les emprunter.
- Jeff ne voudra jamais, je suppose que tu t'en doutes.
- Je n'avais pas l'intention de lui demander son avis.
- Tu ne vas pas voler les pièces, quand même ?
- Je vais me gêner !
Etan considère la question quelques secondes avant d'admettre :
- Oh et puis, t'as raison…
Au vu des évènements et du personnage, je ne m'embarrasserai pas de ce genre de scrupules…
Nous sortons de l'appareil – en nous perdant deux fois de suite - nous nous glissons dans le hangar, ouvrons les moteurs d'autres appareils restés là, et « empruntons » les pièces qui nous manquent. Elles ne sont pas prévues pour ce modèle de moteur qui est beaucoup plus ancien, mais j'arrive quand même à les assembler. Maintenant, si quelque chose ne marche pas, je ne peux pas faire plus. Etan a aussi reformé de son mieux le devant du vaisseau et consolidé la coque de l'appareil, histoire qu'il ne tombe pas en morceaux pendant le vol. Je vérifie deux fois que tout est en place, et nous remontons dans le cockpit, couverts de poussière et de cambouis. La douche attendra des jours meilleurs, nous n'avons pas l'intention de passer une minute plus que nécessaire ici. Etan prend une longue inspiration avant d'appuyer sur le bouton pour allumer la lumière. L'appareil se met à trembler, et nous attendons pétrifiés pendant une minute ou deux. La lumière s'allume enfin, mais nous n'osons rien dire, de peur d'être déçus.
- Ça marche, sourit Etan en se détendant finalement. Le reste devrait aller, maintenant. Beau boulot. Allez, en place. Votre fauteuil n'attend que vous, Capitaine, fait-il en me montrant le siège du pilote.
Je me sens pâlir.
- Je t'aurais prévenu, je maugréé en m'asseyant. Quand on s'écrasera en plein océan, tu ne pourras pas dire que c'est de ma faute…
J'ai des sueurs froides rien qu'à m'imaginer commander ce vaisseau. Je nous vois déjà tomber à pic et nous écraser… Foncer dans une montagne sans pouvoir nous arrêter… Exploser en plein vol… Du calme, respire. Il a dit que c'était facile à piloter… le plus simple des vaisseaux…
Quelle andouille ! Qu'est-ce qu'il raconte ? Un vaisseau, facile à piloter ! Qu'est-ce qu'il en sait, d'abord ? J'essaie désespérément de rassembler mes esprits, et de me souvenir de ce que j'ai fait la dernière fois avec Zell. Il y a bien quelques trucs qui me reviennent, mais…
Etan va s'asseoir sur le siège d'à côté, mais je sais bien qu'il ne me sera d'aucun secours si quelque chose ne va pas. Il me lance un regard qui se veut rassurant, mais qui masque à peine sa terreur. Maintenant, c'est à moi d'assurer. Je fais une courte prière avant de me lancer. J'actionne prudemment le levier, et je sens le vaisseau vibrer tout autour de nous. Pourvu que ça ne tombe pas en morceaux. Non, ça suffit, je me concentre sur ce qui se passe devant moi. Je relève encore un peu la commande, et cette fois, nous décollons vraiment, en soulevant un immense nuage de poussière. La terre tombe du toit du vaisseau et glisse sur le pare-brise, avant de tomber plus bas. Le vaisseau tangue légèrement ; je bloque le levier et active prudemment une autre manette qui doit, si je me souviens bien, nous faire avancer. Le vaisseau s'élève dans les airs, et j'ai l'impression que parcourir ces quelques mètres prend des siècles. Nous arrivons au dessus de la mer. C'est le moment de vérité. Etan déglutit péniblement et s'agrippe à son siège en tentant de faire comme si de rien n'était.
Contrairement à ce que je craignais, nous ne tombons pas à pic, mais restons au même niveau , et ça procure un sentiment étrange. Je PILOTE ce vaisseau ! Soulagée, je continue à avancer. Etan semble s'être remis à respirer. Appuyant un peu plus sur le levier, j'arrive à accélérer. Nous commençons à nous détendre après avoir parcouru quelques dizaines de mètres au dessus de la mer. Je vérifie la destination, c'est bien la direction de Trabia. Ça ne doit pas être bien loin, de toute façon, on devrait vite atteindre la rive, et après, on verra bien.
- Eva, il y a quelque chose qui nous suit, fait Etan d'une voix blanche.
- Quoi ? Tu es sûr?
Il me montre le radar, mais j'ai tellement peur qu'on s'écrase si je relâche ma concentration sur le pilotage que je n'arrive pas à bien voir ; et puis je n'ai jamais appris à utiliser un radar…
- Où ça ? je m'énerve. Comment on voit les distances sur ce truc ?
- Euh… j'en sais rien, mais en tout cas ça se rapproche.
- Mais c'est qui ?
- Je sais pas, je peux pas voir derrière le vaisseau. Il est où le rétroviseur ?
- Etan, j'ai beau ne pas m'y connaître beaucoup, je peux t'affirmer que tu n'en trouveras pas.
- Alors je vais voir.
- Où ça ? Où est-ce que tu vas ?
- Attends-moi ici.
Vraiment hilarant.
Il se détache et sort. Je l'entends courir dans le couloir, et je tente de conserver mon sang-froid, tant bien que mal. Il revient cinq minutes plus tard.
- Des Esthariens, souffle-t-il en se rasseyant.
A son ton, je comprends qu'il s'y attendait. Des Esthariens. Merde, merde, merde.
- Accélère. On n'a rien pour se défendre, et je doute que le vaisseau tienne longtemps le coup s'ils nous attaquent.
- Parce que tu crois vraiment qu'on pourra les semer ? Tu te rappelles dans quoi on est ?
- Accélère quand même.
- Je suis déjà à fond !
- Déjà ?
Il se penche sur le panneau de contrôle, les sourcils froncés.
- On est trop lourds avec les caisses, ça nous ralentit, murmure-t-il. On aurait dû vider les salles de réserve avant de partir.
- Ça nous aurait pris des jours à jeter tout ça ! On n'avait pas le temps. Lourd ou pas, c'est pas avec cet appareil qu'on serait passés inaperçus. Pense plutôt à ce qu'il faut faire maintenant.
- Si tu as une idée, c'est le moment.
- Tu crois qu'ils savent qui on est?
- Je ne sais pas ; ils ne nous ont pas encore attaqué, c'est plutôt bon signe, je suppose… C'est quoi, ce bruit ?
Une grande sirène retentit. Affolée, je mets une minute à comprendre que ça ne vient pas de notre vaisseau qui souhaiterait par là annoncer une explosion imminente, mais de notre poursuivant. Sur le radar, la forme se rapproche dangereusement de notre vaisseau, jusqu'à le dépasser légèrement. On aperçoit les pilotes par le pare-brise, et apparemment, ils essaient de jeter un oeil à l'intérieur de notre cockpit. Etan et moi nous nous tassons sur nos sièges. On est fichus. À grands geste, ils nous font signe d'allumer la radio. Ils sont marrants, il y a longtemps qu'elle ne fonctionne plus… Ils se penchent vers leur panneau de contrôle, et une voix forte se fait entendre.
- Veuillez arrêter votre vaisseau. Nous allons procéder à un contrôle.
- On est mal, murmure Etan, nerveux. S'ils ne savent pas déjà que le vaisseau n'est pas censé voler, ils vont comprendre quand ils nous demanderont ses papiers et notre autorisation de vol. Continue.
Je réussis à repasser devant – parce que leur vaisseau n'est pas à fond - mais ils nous collent.
- On arrivera jamais à les semer et ils ne nous lâcheront pas. On a quelque chose pour se défendre ?
- Etan, on est sur un vaisseau marchand, pas de guerre. Et d'ici, c'est pas avec nos petits poings qu'on va arriver à grand chose.
Puis j'ai une idée.
- Les G-Forces ! Il faut que l'un de nous deux aille à l'arrière, ouvre une des portes et fasse appel à son G-Force, pour éviter qu'il n'apparaisse dans le vaisseau et ne nous fasse exploser nous.
- Très bien, je t'attends ici, répond Etan en se rembrunissant.
- Ok, par l'un de nous deux, j'entendais toi, je rétorque en levant les yeux au ciel. Je ne peux pas encore me dédoubler, et je suis en train de conduire, figure-toi. Je croyais que tu ne savais pas piloter ?
- Non mais… Ton G-Force serait plus efficace que le mien, hésite-t-il.
Mais qu'est-ce qui lui prend ? Son G-force fait tout à fait l'affaire, il le sait bien ! Il cache quelque chose. Je ne crois pas que ce soit qu'il ait peur, il est à peu près aussi rentre-dedans que moi, il n'a jamais été effrayé par un combat. Et il sait bien que je ne peux pas lâcher ces fichues commandes. Tout à coup, une grande secousse se fait sentir. Le vaisseau chute de quelques mètres avant que j'arrive à reprendre le contrôle.
- Ces malades nous tirent dessus ! Je m'exclame en m'arquant contre le levier pour rétablir l'équilibre du vaisseau. Etan !
Il se lève alors et sort de la cabine en courant. Pas trop tôt.
Les Esthariens nous tirent de nouveau dessus et je perds à nouveau le contrôle de l'appareil. Bon sang, on va s'écraser, si ça continue ! J'arrive à remonter légèrement, mais c'était juste ; cette fois, on a bien failli se crasher dans l'océan, et à cette vitesse, je n'aurais pas donné cher de nos peaux... Mais qu'est-ce qu'Etan attend ??
Un voyant lumineux rouge s'allume devant moi, signalant l'ouverture d'une des portes, celle du côté droit, là où se trouve le vaisseau estharien. Le ciel prend des couleurs orangées sur ma droite, et j'entends une explosion. Le vaisseau estharien disparaît du radar, et quelques minutes plus tard, Etan arrive dans la cabine, en sueur, et s'affale sur son siège.
- Voilà. C'est fait.
- Y'a un autre problème. Je sais pas ce qu'ils ont touché mais on continue à perdre de la hauteur…
-… Mais on gagne en rapidité ? remarque-t-il, ahuri, en regardant le compteur.
- Ca, c'est parce qu'on est en train de s'écraser.
- Fait ton possible pour nous maintenir en hauteur, je reviens, je vais essayer quelque chose .
- Quoi ? Qu'est-ce que tu …
Il sort de nouveau. C'est pas bon, pas bon du tout. On descend trop vite. Il aura fallu ça pour gagner de la vitesse, je m'en serais passée, en fin de compte. Et le vaisseau a tendance à pencher sur la droite, ce qui nous dévie de notre trajectoire. Je n'arrive pas à rétablir l'équilibre, les commandes tirent trop. Tous les voyants lumineux clignotent furieusement sur le panneau de contrôle à ma gauche. Question à 10 000 gils : est ce-qu'il est plus dangereux de s'écraser sur la terre ou dans l'eau ? C'est les seules options qu'il me reste. Mais que fiche Etan ?
Certains voyants lumineux s'arrêtent soudain de clignoter. Bon, c'est déjà ça, Etan a du réussir à régler quelques-uns des problèmes. Mais ceux-là, c'est quoi ? Comment je peux savoir s'il faut faire un truc en particulier ? Je peux pas m'occuper de dix trucs en même temps, bon sang. Peut-être que ces boutons... Mais, levant soudain les yeux du panneau de commande, je me sens me liquéfier. Une falaise. Droit devant. Droit devant, et tout près. Dans un sursaut de panique, je me dresse et tire de toutes mes forces sur le levier pour nous faire remonter, mais il est trop tard, et le bas de l'appareil heurte un rocher dans un grand fracas métallique qui me pétrifie. Le vaisseau, ralenti, se met à glisser sur le côté toute la largeur de la falaise, et cette fois nous tombons dans le vide juste derrière.
Une grande lumière blanche envahit la cabine juste avant que nous nous écrasions, m'obligeant à me protéger les yeux. Je me sens projetée de mon siège, comme tirée vers le haut par un élastique géant au moment où on entend un grand fracas.
Lorsque j'ouvre les yeux, je flotte dans les airs cinq mètres au-dessus de mon siège. Toute la cabine qui se trouvait au dessus de moi est complètement détruite, comme si une version extra-extra-large de moi l'avait traversée. Il y a plein d'éclats de glace un peu partout. Je lève les yeux. Face à moi, Sheba. Malgré mon hébétude, je fais vite le rapprochement. Elle m'a sauvée. Mais elle n'est pas comme d'habitude. Elle paraît… Plus pale, presque transparente. Qu'est-ce qui se passe ?
Avant que j'aie pu ouvrir la bouche pour l'interroger, elle me fait redescendre. Je reste calme malgré un léger vertige, et elle me pose avec précaution à l'intérieur de la cabine. Tout est complètement détruit. Sheba a tout fait exploser autour d'elle, comme d'habitude, la pièce est un vrai carnage. Je me demande ce qui, de la chute ou Sheba, a fait le plus de dégâts. Mais je ne m'en plaindrai pas. Je réalise soudain que je suis en train de marcher sur un des murs, en fait. Le vaisseau est couché sur le côté droit, tout est sens dessus dessous. Ça va être pratique pour trouver la sortie.
Sheba s'est posée à quelques pas de moi, et remonte vers la porte comme s'il n'y avait rien de plus facile que de glisser sur un mur vertical pour le monter. Elle sort de la pièce lentement, pour s'assurer que je ne la perde pas des yeux, se retourne vers moi et remue les lèvres avant de disparaître.
- Etan ! Je sursaute en comprenant.
Mais où est-il passé ? Tout est silencieux… Et si…? Je me dépêche de sortir, d'une démarche bien moins élégante et aisée que mon G-Force, naturellement. Moi, je dois grimper en m'aidant des sièges pour atteindre la porte. Je me hisse par la porte en tirant sur mes bras, et j'arrive dans le couloir. Bon, de quel côté il a bien pu aller ? J'ai déjà du mal à m'y repérer normalement, mais là… Il me faut aussi faire attention à ne pas tomber par les portes qui sont devenues des trappes bien peu résistantes.
- Etan ? J'appelle. ETAN !
Pas de réponse. C'est pas vrai... Il est forcément allé vers l'arrière, mais est-ce qu'il est descendu, resté au même niveau, ou monté ? Et dans quelle pièce est-il ? S'il est encore vivant, je tue ce crétin de mes propres mains !
Je me glisse par l'endroit où se trouve l'échelle, et Sheba apparaît à nouveau, ce que je prends pour un bon signe ; elle se déplace en flottant avec légèreté dans le couloir en l'illuminant, me montre une porte puis disparaît à nouveau. Je m'accroupis pour ouvrir avec précaution.
Tout en bas je vois à nouveau Sheba, dans son apparence habituelle, cette fois. Elle éclaire la salle, debout près d'Etan. Il est immobile, allongé sur des caisses dans une position que me paraît peu rassurante. Je me laisse glisser prudemment sur le sol, en m'accrochant à ce que je peux pour éviter de lui tomber dessus, et j'arrive à côté d'Etan. Je dégage les caisses pour avoir de la place, m'accroupis à ses côtés et, la main légèrement tremblante, je cherche son pouls. Un soupir de soulagement m'échappe. Il est vivant ! M'assurant qu'il n'ait aucun os fracturé qui rendrait un déplacement dangereux, je le retourne sur le dos. Pas la moindre égratignure. À peine décoiffé. Soit c'est le gars le plus chanceux que je connaisse, soit... Sheba est toujours à côté et me regarde intensément, comme pour me faire passer un message. Non, ce n'est quand même pas elle qui… ? Elle était avec moi au moment où le vaisseau s'est écrasé ! Et pourtant… une légère brume flotte autour de nous, des éclats de glace illuminent la pièce au gré des rayons de soleil. Sheba a protégé Etan ? En même temps que moi ? Comment ? Et pourquoi, alors que je ne lui ai pas donné le moindre ordre ?
Bon, une chose à la fois. Déjà, sortir d'ici. Je n'aurai jamais la force de traîner Etan jusqu'à la sortie, ça c'est clair. Pas question de le faire remonter jusqu'à la porte et de le trainer dans les couloirs jusqu'à ce que je trouve une issue. Nous sortirons directement ici, et s'il n'y a pas de porte, eh bien Sheba n'aura qu'à la créer. Je lui demande de détruire – ce qu'elle fait le mieux - le mur qui se trouve à côté de nous. Quelque chose me dit qu'il ne vaut mieux pas traîner ici. Les cris des personnages des séries télévisées criant "ça va exploser !" me reviennent en tête, et je n'ai pas vraiment envie de rester ici pour vérifier si c'est réellement de la fiction. Ces considérations pratiques en entrainant d'autres, je me rappelle soudain que j'ai oublié de récupérer nos sacs. Que nous avions rangés dans la cabine. Qui a été pulvérisée.
- Sheba, surveille-le, je reviens tout de suite.
Elle me renvoie un regard serein, grave et immobile debout à côté d'Etan toujours inconscient. Je suppose que je ne peux pas vraiment espérer une réponse plus explicite...
Je me dépêche de grimper vers la porte, retourne dans la cabine, récupère les sacs que nous avions rangé dans une armoire métallique heureusement restée intacte, puis je retourne rejoindre les autres. Je jette les sacs par le trou béant qu'a créé Sheba, puis je prends Etan par dessous les épaules pour le traîner à l'extérieur. Je le tire de mon mieux sur une centaine de mètres, jusqu'à ce qu'on soit à une distance raisonnable de l'appareil en cas de problème. Épuisée, je laisse tomber les sacs et j'allonge la Belle au Bois Dormant dans la petite zone d'ombre que procure la falaise. Etan n'a même pas tressailli, et si sa poitrine ne se soulevait pas à intervalles réguliers - quoiqu'avec difficulté - je ne me poserais même pas de questions. Mais le visage d'Etan est blême, de la sueur perlant sur son front. Il a forcément quelque chose, il ne peut pas n'être qu'évanoui. Soucieuse, je m'accroupis à ses côtés et entreprends à nouveau de vérifier si ses os sont intacts. Je ne peux m'empêcher de songer avec horreur que si je me suis trompée tout à l'heure, les dommages pourraient être irréversibles, avec la façon dont j'ai déplacé Etan. Je manipule son crane avec une précaution infinie, à la recherche d'une éventuelle fêlure – qui se révèlerait désastreuse pour lui. Je ne sens rien, dieu merci. La nuque semble elle aussi intacte, il n'a aucune côte cassée ; les bras et les jambes vont bien. Dernière difficulté, la colonne vertébrale. Là aussi, ça pourrait être catastrophique si j'étais passée à côté d'une fracture. Je tâte chaque vertèbre, attentive à la moindre irrégularité. Soulagée, je recouche Etan sur le dos après avoir remis sa veste et son t-shirt en place. Je n'ai rien aggravé, au moins. Mais qu'est-ce qui cloche, alors ? Il faudrait de l'eau, au moins. Je jette un oeil à l'endroit où nous nous trouvons, pour la première fois depuis les vingt minutes où je me suis misérablement écroulée ici.
Parfait. On a atterri dans un désert. Pas une coin d'ombre à des kilomètres, en dehors de celle que procure encore la falaise immense à laquelle je suis adossée. Où est-ce qu'on a bien pu tomber ? Réfléchis, Eva. Nous dérivions légèrement vers le sud, tant que nous étions poursuivis, mais après que nous ayons été touchés, ce n'était pas ce qui me préoccupait le plus. À quel point est-ce qu'on a pu dériver par la suite ? Impossible de me remettre les détails en tête. La panique, le choc de l'accident... je me sens vraiment trop k.o. pour réfléchir. Un mouvement sur le côté attire mon attention : Etan remue et semble se réveiller. Je me rapproche à quatre pattes.
- Est-ce que ça va ?
- Bel atterrissage, Capitaine, sourit-il faiblement.
- C'est ça, fais le malin, je grogne, le soulagement me rendant toute ma irritabilité. Toi, si t'étais pas à deux doigts de passer l'arme à gauche, je sais pas ce que je te ferais ! Faut être complètement inconscient pour sortir comme ça alors que …
- S'il te plait, s'il te plait, du calme, gémit-il. Je suis vraiment à deux doigts de passer l'arme à gauche, alors on remettra ça, tu veux...
Il s'assoit en grimaçant.
- Tu as mal quelque part ? Je demande.
- Partout. Ça fait combien de temps qu'on est là ? demande-t-il en se passant la main sur le visage.
- J'en sais rien. Une demi-heure peut-être. Partout comment ?
- Comme si je n'étais pas dans le vaisseau quand il s'est crashé, mais dessous.
Il aperçoit le vaisseau.
- Wow. Là, c'est une épave.
- C'est pas avec lui qu'on repartira, j'espère que cette fois tu es d'accord
- Sans problème.
- J'arrive pas à croire qu'on soit entiers, je soupire.
- Qu'est-ce qui s'est passé ? Toi, tu étais attachée dans la cabine, mais moi j'étais au milieu des caisses en bois, c'est un miracle que …
- Remercie Sheba, mon G-force.
- Pourquoi tu me l'as envoyée ?
- Je ne t'ai rien envoyé du tout ; c'est elle qui est venue toute seule, je ne sais pas pourquoi.
Silence. Il se laisse retomber sur le dos.
- Tu devrais manger un peu, dis-je en lui tendant son sac.
- Donne-moi juste ma gourde, ça ira.
Je fouille son sac et en sors une gourde bleue qu'il porte lentement à ses lèvres. Je cherche également ma gourde pour m'asperger le visage.
Silence à nouveau. J'observe le paysage, une immense plaine désertique. Dans quel pétrin on s'est encore fourrés ? On ne peut apercevoir aucune ville d'ici ; le désert devant, une falaise derrière, et derrière cette falaise, la mer.
- Tu sais où on est ? je demande à tout hasard.
- Comme ça, là, non. Et il faudrait que je sache la direction qu'on a pris.
- En tout cas, on est pas à Trabia. Je crois bien que ça nous a éloignés.
- Et ça nous aurait éloigné de quel côté , tu crois ? demande-t-il d'un air méfiant.
- Je n'en suis pas sûre, mais je crois qu'on a dérivé vers le sud, et donc…
- Et donc, plutôt du côté d'Esthar, conclut Etan en se passant la main sur le visage.
*
Commentaire de l'auteur :
Pas de grande grande modification dans ce chapitre, en dehors du passage où Eva s'inquiète un peu plus d'Etan. Je me suis dit que ce serait pas plus mal de la rendre un peu plus humaine. Et des descriptions refaites, dans une tentative de mieux faire imaginer ce qui se passe.
À la prochaine !