Bonjour !
Voici donc la suite qui m'a été demandé à plusieurs reprises. Je n'ai pas l'habitude de mettre un commentaire en début de chapitre, je préfère généralement entrer directement dans le vif du sujet. Mais cette fois, quelques mots pour expliquer le principe de ce chapitre sont nécessaires, je pense.
Donc ce chapitre est à la fois une fin alternative et une suite au chapitre 21. Je m'explique. Le chapitre 21 montrait que le jeu FFVIII et ma fic formaient une boucle : on a l'histoire du jeu, ma fic qui va jusqu'à la naissance d'Ultimécia – qui retourne dans le passé affronter Squall jeune – qui vieillit et voit sa fille devenir Ultimécia, et ainsi de suite. Vous avez compris le principe, je voulais montrer une boucle sans fin. Que ces combats avaient eu lieu encore et encore, même si les personnages ne s'en rendaient évidemment pas compte.
Ce chapitre alternatif commence par reprendre cette boucle, mais un élément perturbateur arrive, qui rompra cette chaine. Comme la boucle a déjà pu avoir lieu un nombre incalculable de fois, on peut dire que cette perturbation du cycle est la suite du chapitre précédent. Je voulais au maximum que ce chapitre, bien qu'apportant une fin différente, garde une certaine cohérence avec cet aspect de boucle que je donnais à mon histoire, et il me semble que c'est le mieux que je pouvais faire.
Une dernière chose : il y a différentes chansons dans ce chapitre (laissez tomber les vidéos, elles n'ont été choisies que pour la musique, il n'y a pas le moindre rapport). Ca n'a rien d'extraordinaire, mais je les mets juste pour exprimer au mieux l'ambiance que je souhaite.
Je m'arrête là, bonne lecture !
Chapitre XXI alternatif
Lux aeterna
Squall se débarrassa de son assaillant d'un coup de gunblade bien placé et le repoussa du pied contre le sol. Sur ses gardes, le directeur de la BGU attendit qu'un autre adversaire prenne la relève. Comme rien ne semblait venir, il scruta le paysage, les sourcils froncés. Du sommet de la colline, il profita de ce moment de répit pour reprendre son souffle et évaluer la situation. Tout avait l'air sous contrôle, vu d'ici. Les Esthariens se repliaient, ou du moins le tentaient : ils se regroupaient pour se soutenir, mais étaient en réalité acculés par les Seeds là où ils ne pourraient trouver d'issue. Les pertes étaient importantes des deux côtés, mais les Seeds avaient à présent le dessus.
Alors pourquoi ne parvenait-il pas à se défaire de ce sentiment que quelque chose n'allait pas ? Que quelque chose de bien pire se préparait ? Il n'était pas du genre à suivre aveuglément une simple intuition, mais il avait également appris avec les années que rien n'était réellement dû au hasard. Cela voulait forcément dire quelque chose.
Comme il allait avancer pour rejoindre ses soldats, un ennemi se mit sur son chemin. Exaspéré que la réponse lui échappe toujours, il se lança avec vigueur dans la bataille, tout en gardant ses craintes dans un coin de son esprit. Bon dieu, mais les Seeds gagnaient, pourtant. Et il était certain qu'aucun bâtiment estharien ne viendrait à la rescousse, il s'en était assuré avant de planifier cette attaque qui devait être la dernière. Alors le danger n'était pas de ce côté. Mais quoi, alors ?
Squall fronça ses sourcils en se rendant compte que la lame du soldat qu'il combattait était passée bien plus près qu'elle ne l'aurait dû. Il devait se ressaisir. Raffermissant sa prise sur la garde de sa gunblade, il s'élança d'un bon rapide et fit jouer le poids de son arme pour l'abattre de toute ses forces contre l'ennemi. S'apercevant qu'un second arrivait par derrière, il pivota et tendit la main dans sa direction pour lui lancer un sort de foudre tandis que de l'autre main il tenait à distance le premier soldat. Touché en pleine poitrine par le sort, le soldat, projeté au loin, bascula dans le vide, permettant à Squall de se retourner vers son premier adversaire qui se jetait à nouveau sur lui. Redressant sa gunblade et assurant sa stabilité, il para la lame du soldat, et le repoussa. Il allait répliquer quand une image passa dans son esprit, suspendant son geste.
Un vaisseau estharien filant à toute allure, vision fugitive. Squall cligna des yeux. Qu'est-ce que c'était que cette apparition ? D'où venait-elle ? Oui, il y avait encore quelques vaisseaux qui volaient au-dessus d'eux, mais rien d'insurmontable car les G-Forces se chargeaient de les réduire en morceaux. Alors pourquoi cette image lui venait-elle à l'esprit maintenant, pourquoi avait-il l'impression que ce n'était pas la première fois, bien avant ce jour, et pourquoi cela lui semblait-il si important ? Reprenant ses esprits, il assena à son ennemi un violent coup sur l'épaule et l'envoya lui aussi dans le vide. Mais la vision ne le quittait pas. Un vaisseau. Qui volait vers... vers quoi ? C'était forcément la réponse. Squall leva les yeux au ciel. Il restait deux vaisseaux encore en vol. Certes, ils constituaient un danger non négligeable avec leurs mitrailleuses. Mais il n'arrivait pas à se sortir de la tête que quelque chose de bien plus dramatique devait être engendré.
- Mais quoi, bordel ? Grogna Squall en décidant de se rapprocher des autres Seeds.
Un autre flash l'obligea à stopper. Puis un autre, très rapidement. Un vaisseau qui tire. Etan Almasy qui s'élançait. Le souffle de Squall s'accéléra alors qu'il essayait de se rappeler.
- Ok, cette fois c'est sûr, marmonnait-il. Une série d'images... Le vaisseau, des tirs, Etan... Le vaisseau. Des tirs. Etan... mais qu'est-ce qu'il y avait après ça...
En avait-il rêvé ? Non, pas rêvé, ça ressemblait trop à ce qui se passait en ce moment même... mais une main invisible semblait enserrer violemment son cœur, lui donnant la certitude que c'était une chose qui devait arriver très bientôt. Une chose terrible qui allait bien au-delà de blessés ou de morts. Une chose qui lui déchirait l'âme. Il ne devenait pourtant pas non plus voyant. Ce qui lui venait en tête, réalisa-t-il, c'étaient des souvenirs. Des souvenirs de quelque chose qui ne s'était pas encore produits. Du déjà vu. Quelque chose qui se passait en boucle indéfiniment.
Une mise en garde.
Un rappel.
Un vaisseau, des tirs et Etan qui s'élançait.
Ne pas oublier.
Ne plus oublier.
Cette déchirure en lui...
Un vaisseau, des tirs, Etan... Des larmes ravageant son propre visage déformé par la douleur.
Parvenir à l'empêcher la prochaine fois.
Ne plus jamais oublier.
Un vaisseau, des tirs, Etan, des larmes... Le sable qui s'écoule comme le temps...
Squall se redressa, comme frappé par la foudre. Linoa !
Le visage blême et le cœur battant à tout rompre, il se rua dans la direction vers laquelle il avait vu son épouse pour la dernière fois. Les images défilant maintenant beaucoup trop rapidement dans sa tête. Des tirs, et lui qui arrivait trop tard pour empêcher la mort de Linoa. Celle d'Etan. Celle d'Eva. Et la naissance d'Ultimécia. Chacune des fois où il avait assisté à ces évènements, le désespoir qui le terrassait. Ne plus jamais oublier, pour tous les sauver... une larme glissa sur sa joue.
Refusant de laisser la panique le submerger, il bondit sur le plus haut sommet qu'il put trouver et se mit à fouiller du regard le paysage. Une vague de soulagement le submergea lorsque la silhouette de son épouse se battant toujours férocement lui apparut à quelques centaines de mètres de là. Il n'était pas trop tard. Il bondit à nouveau en rejetant sa gunblade pour courir dans sa direction. Courir comme il ne l'avait jamais fait, entrainé par le souffle qu'exerçait Bahamut qu'il avait envoyé au-devant pour protéger Linoa. Soudain un vaisseau jaillit. Le vaisseau. Le cœur de Squall manqua un battement comme il voyait que son G-force n'était toujours pas parvenu à rejoindre Linoa, inconsciente du danger. Accélérant comme il put, il exhortait, suppliait mentalement le G-Force de parvenir à temps.
* * * * * * * *
Madagascar - Guns 'n' Roses
Shiva et moi avons tourné la tête vers ma mère en même temps, et je suis sure que nous partageons le même regard paniqué. Comme au ralenti, je vois un second vaisseau se diriger vers la colline et tirer une salve de lasers en direction de ma mère. Et je sais que nous réalisons la même chose : Shiva n'arrivera jamais à temps pour la protéger... les mains comme enracinées au sol, je ne peux que réaliser ma propre impuissance. Je ne peux rien faire non plus, Sheba n'est même plus là... Mon regard affolé croise celui alors d'Etan qui se trouve entre la colline et moi. Il se retourne vers l'endroit qu'il m'a vue fixer, où ma mère se bat toujours sans voir ce qui l'attend. Et quand je le vois s'y diriger en courant, je sens au fond de moi ce qu'il s'apprête faire. Et qu'il ne le doit pas. D'un bond je me relève et me rue dans sa direction en hurlant.
Au moment où Etan tend les bras devant lui pour invoquer son G-Force, et alors que je le rattrape et l'agrippe par sa veste, une énorme masse passe juste devant lui, déplaçant une violente bourrasque de vent, et en laquelle je reconnais Bahamut. Littéralement rejetés sur le côté par le souffle, nous basculons tous les deux dans le sable. Le seul réflexe qui me vienne étant de stupidement resserrer ma main sur le tissu, je suis entrainée dans la chute d'Etan et m'écrase lourdement contre lui. Il étouffe un gémissement de surprise et de douleur, et se retourne sur le dos pour voir ce qui a bien pu l'attaquer. Un peu sonnée, je me dégage et me laisse tomber à côté de lui pour reprendre mon souffle tandis qu'il me dévisage.
- Je... commence-t-il, hébété.
- Imbécile ! Je crie en lui frappant le torse. Triple idiot !
- Mais...
- Combien de fois il faut que je te le répète ? Je hurle, hors de moi, en le bourrant de coups. Tu le fais exprès ? Je t'interdis de faire appel à lui ! Tu m'entends ?!
Stupéfait, il met à moment à tenter de retenir mes poignets.
- Tu sais parfaitement ce que tu risques ! Espèce de crétin ! C'est ce que tu veux, que ça te tue ?? La prochaine fois que tu l'invoques, je te préviens, je te fais la peau moi-même avant que ce truc ait eu le temps de t'achever ! Tu m'entends ?? je crie, ma voix se brisant soudain en sanglots. Je veux plus que tu l'appelles... Comment tu veux que je...
Je m'interromps en voyant une larme tomber sur le t-shirt d'Etan. Une de mes larmes. Je me rends compte que j'ai également cessé de le frapper. Le cœur battant et les mains crispés sur son t-shirt, je regarde Etan sans réellement le voir, m'interrogeant. Que je... quoi ? Qu'est-ce que tu t'apprêtais à dire, Eva ?
- Que tu quoi ? Me demande également Etan, la gorge sèche.
Il s'est redressé sur ses coudes, ses yeux gris me dévisageant avec intensité. Je déglutis difficilement et tente de recouvrer mes esprits, alors que je sens mes joues et ma poitrine me brûler.
- Que... Qu... Que je t'empêche de faire n'importe quoi à chaque fois, je lui crie, les yeux brouillés, alors que je sais pertinemment que ce n'était pas ce que j'avais failli dire.
Son visage se referme, mais il n'a rien le temps d'ajouter, car au même moment nous nous rendons compte que nous sommes en train de nous faire charger par un monstre. Qui arrive vite, beaucoup trop pour que nous ayons la possibilité de l'éviter. D'un geste vif, Etan se redresse, passe un bras autour de ma taille pour me plaquer sur le sol puis me recouvre de son corps, un bras au dessus de ma tête, pour me protéger des piétinements du monstre. Pétrifiée, j'attends le choc les paupières crispées, le visage pressé contre le cœur d'Etan. Mais le choc n'est pas celui que nous attendions. Zell, à quelques mètres de là, avait remarqué le danger et nous avais envoyé Ifrit, qui, dans la précipitation, n'a rien trouvé de mieux à faire que de jeter un brasier géant à notre assaillant, manquant de peu de nous griller du même coup. Lorsqu'il est certain que le danger est passé, Etan s'appuie sur son bras et murmure, son visage à dix centimètres du mien :
- On est quittes, maintenant.
Il se lève rapidement, récupère sa gunblade tombée au milieu des gravats et retourne au combat, la démarche un peu raide. Le coeur battant violemment dans ma poitrine, je ne peux que le regarder s'éloigner, les yeux rivés à sa veste roussie au niveau de l'épaule droite, tandis qu'il se hâte de rejoindre les combats. Combattant une furieuse envie de pleurer qui m'envahit soudain sans que je comprenne pourquoi, j'accepte la main de Zell qui a accouru pour m'aider à me lever.
- Est-ce que ça va ? s'inquiète-t-il. Tu es blessée ?
La gorge nouée, je ne peux que secouer brièvement de la tête, tout en ravalant mes larmes de fureur. De fureur après moi-même, par dessus le marché. Ça n'aurait pas dû se passer comme ça, martèle une voix de plus en plus forte dans ma tête. Pourquoi est-ce que tu as répondu quelque chose d'aussi stupide ? Pourquoi tu finis toujours par dire le contraire de ce que tu penses ? Qu'est-ce qu'il y a de si compliqué à dire ce que tu as dans la tête ?
Zell me sourit d'un air las. Difficile de dire ce qui, de ce qu'il a pu comprendre de la scène qui vient d'avoir lieu ou l'incertitude de l'issue de la bataille qui persiste pour nous me vaut son regard désolé, mais il me presse un moment l'épaule avant de repartir au combat. Je récupère mon arme restée plantée dans le sol un peu plus loin, puis me replonge vite dans les combats, presque heureuse que leur intensité m'ôte momentanément l'incident de l'esprit. Je dois tout de même me concentrer sérieusement pour ne pas me laisser déborder par les assaillants qui débarquent de tous les côtés. Heureusement, Zell m'aide en jouant des poings à mes côtés.
Nous sommes finalement rejoints par Quistis et sa troupe. Ils ont réussi à maîtriser le vaisseau estharien et du même coup à dégager toute la partie de la plage nord où la BGU avait accosté. Notre fac est donc à présent complètement hors de danger.
Maintenant que la plupart des monstres a été éliminé, Quisitis a pu rassembler assez de monde à envoyer au bateau estharien de la plage sud. Notre objectif est pour le moment de retenir assez de soldats ici pour les empêcher de retourner aux bateaux en renfort, ou de s'enfuir grâce à celui de la plage sud. Zell rassemble alors les Seeds les plus proches à grands cris et nous divise en trois équipes. L'une est envoyée à proximité du second bateau qu'il doit surveiller, et y empêcher toute entrée. La seconde va la couvrir en encerclant les soldats qui se trouvent encore sur la plage et tandis que nous, nous encadrerons au nord. Les ordres donnés, chacun va à son poste. Nous sommes une dizaine à suivre, parmi lesquels je repère Greg. Casey et Bess sont dans la première équipe, mais pas moyen de trouver Etan. Les chassant momentanément de mon esprit, j'observe avec attention les environs, pour repérer chaque soldat ennemi présent. À mes côtés, les Seeds se déploient pour couvrir le plus de surface possible, les G-Forces restants voletant au dessus de nos têtes. Je remarque que cela fait un moment maintenant que je n'ai pas entendu les vaisseaux nous survoler, et un coup d'oeil au paysage, plus loin, me montre des impacts de crash. Bonne chose pour nous.
Zell beugle ses ordres et nous nous lançons au combat. Les Esthariens, ne disposant plus du soutien des vaisseaux ni des monstres désormais tous éliminés, se démènent tant bien que mal ; mais, n'ayant pas anticipé notre stratégie, et probablement sur-estimé leur avantage, ils se retrouvent bientôt pris en tenaille et se voient contraints de se rendre. Nous les désarmons, confisquons leur casques et nous les plaçons en cercle au centre de la plage. Silence de mort. Comme si le vent lui-même avait décidé d'abandonner ses rugissements. L'idée de la victoire des Seeds sur Esthar fait lentement son chemin dans chaque tête, sans que quiconque ose la formuler, de peur de se voir prouver le contraire. Pas après avoir vécu tout ça. Il fallait que ce soit enfin fini.
Alors, le souffle court, nous nous regardons les uns les autres, espérant que quelqu'un d'autre le dise. Que quelqu'un le formule, qu'il montre qu'il pense la même chose. Que tout est fini. Que nous avons gagné et que la vie pourra reprendre. Je réalise que je suis enfin à la BGU, avec ma famille, mes amis. Chez moi. Et cette prise de conscience, je ne suis pas la seule à la faire. La joie monte dans les rangs, d'abord timide et vague, puis un murmure s'élève, de plus en plus expressif, et des cris de joie retentissent soudain. Partout autour de moi, on rit aux éclats, on se prend les uns les autres dans les bras en s'interpellant.
Et pourtant, je reste étrangement imperméable à toute cette liesse, comme engourdie. Sans trop m'en rendre compte, je me retrouve à fouiller le paysage du regard. A scruter chacun des Seeds survivants, cherchant un visage en particulier, le coeur serré d'angoisse. Où est-ce qu'il est? Est-ce qu'il a à nouveau tenté d'invoquer son G-Force? A-t-il été blessé? Tué? Mais où est-ce qu'il est passé?? Repensant au moment où je l'ai perdu de vue, je sens ma vue se brouiller, ce qui n'arrange pas mon état. D'un pas rageur je traverse la foule en fête en l'écartant sans ménagement. Mais soudain je me sens happée par un bras passant autour de mon cou ; avant d'avoir eu le temps de me dégager, je reconnais Bess qui m'attire contre elle en riant et pleurant à la fois. Je reconnais également Casey qui la suivait et qui nous étreint toutes les deux à la fois ; nous restons un moment ainsi, eux dans une attitude bien peu digne pour des soldats (quasi) professionnels venant de mener une bataille sanglante, moi dans un état second, partagée entre l'envie de me réjouir avec eux que nous soyons encore en vie et celle de m'éloigner d'eux le plus vite possible pour partir à la recherche d'Etan. D'autres nous rejoignent vite, à travers mes larmes de frustration que mes amis interprètent pour de la joie, je reconnais vaguement Greg, Théo, des filles de la classe, mais également des professeurs. Mes parents ont réussi tant bien que mal à parvenir jusqu'à moi et nous restons enlacés un long moment.
Fake Wings - Yuki Kajiura
Nous sommes rappelés à la BGU sans que j'aie pu m'éclipser. On nous rassemble dans le grand hall de la BGU pour écouter le discours du directeur. Je vois avec bonheur mes parents se tenir ensemble face à nous, entourés Quistis, Zell et nos autres professeurs, plus ou moins en bon état. Debout à mes côtés, Bess me serre la main en laissant couler des larmes silencieuses le long de ses joues. J'aimerais pouvoir lui dire quelque chose, la réconforter. Mais je me sens complètement vide. J'ai à peine l'impression d'être réellement là et je ne parviens même pas à me concentrer sur les paroles de mon père. Je scrute encore les visages qui m'entourent, à la recherche d'Etan, au point que Casey, qui se trouve derrière moi finit par glisser à mon oreille, inquiet :
- Est-ce que ça va ?
Je hoche frénétiquement la tête en ravalant mes larmes et en essayant de me persuader qu'il n'a rien pu arriver à Etan. Il n'aurait quand même pas sciemment invoqué son G-Force ? Je lui ai dit et répété de ne pas le faire. Je l'ai frappé pour que ça rentre bien dans sa petite tête. Il ne l'a pas fait, bien sûr que non. Il a forcément compris et doit être quelque part à côté. Il n'aurait pas fait un truc aussi crétin. Même s'il était tellement en colère contre moi. Même si j'ai été aussi stupide. Même s'il y a pu y avoir un millier de raisons qui auraient rendu obligatoire l'invocation d'un G-Force. Bien sûr que si, qu'il en aurait été capable, tu le sais très bien, pauvre idiote. Combien de fois est-ce qu'il l'a appelé ces derniers temps, hein ? Est-ce qu'il t'avait écouté quand tu le lui interdisais avant ? Pourquoi est-ce qu'il l'aurait fait aujourd'hui ?
Je ne me rends compte que le discours a pris fin que lorsque les rangs se desserrent autour de moi. Je réalise à ma grande honte que je n'ai même pas prêté attention à l'éloge fait à ceux tombés au combat. Un peu hagarde, je me laisser mener par Bess et Casey qui a passé son bras autour de mes épaules et me porte presque. Nous nous dirigeons vers les dortoirs, entourés des autres élèves épuisés qui retournent dans un silence peu habituel à leur chambre profiter d'un repos bien mérité. Nous n'arrivons cependant pas à convaincre Bess de venir, elle tient à retourner à l'infirmerie où son aide reste plus que nécessaire. Casey me mène à ma chambre, où nous nous laissons tomber sur le lit, à bout de force. Je crois m'être endormi avant même que ma tête ait touché l'oreiller. À mon réveil, je m'aperçois que Bess nous a rejoints et qu'elle dort encore à ma droite à poings fermés. Je me lève en prenant garde à ne pas réveiller mes meilleurs amis et m'éclipse en silence de ma chambre après les avoir recouverts.
Les jours qui ont suivi restent flous dans ma tête. Après avoir retrouvé mes parents, et m'être assurée que mes amis étaient en vie, rien ne semblait réellement avoir d'importance. Des brumes générales se sont tout de même dégagées les retrouvailles avec Léna, que mes parents avaient laissée à la fac Winhill sous la protection de Tante Ellone, en même temps que tous les élèves trop jeunes pour combattre. Je l'enviais presque d'être ignorante des horreurs qui avaient eu lieu. Ce qui ne l'avait pas empêchée de se jeter dans mes bras en pleurant.
Ça a également été le moment de dire au revoir à Zack. Déclaré totalement innocent dans l'attaque de Tréhignac, en remerciement de l'aide apportée lors des combats, et en dédommagement de toutes ces années passées au village pénitentiaire, il a été autorisé à s'établir dans une des villes proches de Winhill. Mon père a décidé d'envoyer une troupe dans son ancien village pour retrouver sa mère et Lise qui iront s'installer avec lui, tandis que Harl sera à nouveau jugé.
À ma grande surprise, j'ai été autorisée à assister à la réunion décidant tout cela, ce qui aurait pu paraître normal étant donné que je m'étais retrouvée au coeur des évènements puisque j'étais directement concernée – mais c'est sans connaître mon père. Il a néanmoins jugé que j'étais apte a connaître les détails de l'histoire qui avait amené Hans à être exilé. Zack a fait preuve de pas mal de cran, vu l'histoire qu'il a soudain découverte sur son père. Les accusations de trahison, de complot contre la BGU et de tentative de meurtre sur ma famille. De mon point de vue, c'est déjà assez effrayant de me dire que son père a essayé de nous faire tuer quand j'étais petite – mais du sien, ça doit être pas mal non plus. Il n'aurait jamais dû se trouver dans ce village, ni sa famille, alors que seul son père était coupable de trahison. Il aurait dû grandir à la BGU, ou au moins avoir le choix.
J'ai un pincement au coeur en l'observant en douce alors qu'il se trouve debout devant le bureau de mon père encaisser les nouvelles, les poings serrés et la mâchoire crispée, mais calme. Se voir assener tous ces faits d'un coup, sur un proche qu'il pensait si bien connaître doit être bien plus horrible que je ne peux l'imaginer. Le pincement au coeur se transforme en une vague de tristesse étourdissante lorsque je pense à Etan, qui a subi ça si longtemps.
Une fois les derniers détails réglés, j'accompagne Zack jusqu'au parking. Depuis la fin des combats, nous n'avons guère eu le temps de parler. Deux jours. Lui comme moi nous nous sommes efforcés à nous occuper l'esprit, lui à l'infirmerie pour aider à soigner les blessés, moi en aidant de mon mieux à la remise en ordre de la BGU. Je sais qu'il est blessé par ce qu'il a vécu et découvert, on le serait à moins. Fini le Zack joyeux et plein d'entrain. Celui qui marche à mes côtés est plus mesuré, plus en retenue. Et la disparition d'Etan le hante autant que moi. Une fois sur le parking, il s'arrête et se tourne vers moi.
- Je suis désolé, Eva.
- Pour quoi ? Je demande, surprise.
- Pour tout. Ce que mon père a fait quand on était petits. Qu'on ait pas eu la vie qu'on aurait dû à cause de lui. Le fait qu'il ait recommencé quand on s'est retrouvés.
- Sois pas bête, tu n'y es pour rien, je rétorque. Tu n'as rien fait. Tu en as souffert au même titre que nous tous.
- Je n'ai rien vu. Je ne soupçonnais rien, alors que ça aurait dû être évident.
- Ce n'étais pas évident. Tu n'avais aucun moyen de savoir. C'est ton père qui a fait ça.
- Et je suis la seule personne à pouvoir m'excuser en son nom.
- Non, tu n'as pas à le faire, je proteste fermement.
Il me lance un regard malheureux mais n'ajoute rien.
- Une nouvelle vie commence, je fais, tentant d'avoir l'air optimiste. Tu sais ce que tu vas faire, une fois libre ?
- Ton père m'a donné l'adresse de quelqu'un prêt à m'employer, c'est là-bas que je dois aller tout à l'heure.
Il soupire.
- C'est effrayant ? Je demande.
- Non. C'est juste que j'ai du mal à imaginer que les choses puissent être si différentes d'un coup. Enfin, elles le sont depuis longtemps, mais je ne le savais pas.
- Ça fait beaucoup d'un coup, j'admets.
- Je suis aussi désolé pour Etan.
Peu importe à quoi il fait allusion au sujet d'Etan, il n'en est pas non plus responsable, alors je ne dis rien.
- Je sais pas comment j'ai pu gober que tu étais sa soeur, rit-il.
- Tu n'avais aucune raison de ne pas le croire, je réponds, la gorge nouée au souvenir de ce moment.
- Si, ça c'était évident, répond-t-il doucement, faisant accélérer les battements de mon coeur.
Zell arrive soudain à notre hauteur.
- Désolé de vous interrompre. C'est juste pour te dire de me prévenir quand tu es prêt à partir. Ne t'inquiète pas, rien ne presse, ajoute-t-il en jetant un oeil qu'il croit discret de mon côté. Prenez votre temps.
Je ne vais même pas penser à ce qu'il imagine. Zack soupire en regardant la voiture à quelques mètres de là comme s'il espérait qu'elle disparaisse d'elle-même, puis se tourne à nouveau vers moi.
- Tu m'écriras ? demande-t-il.
- Évidemment, je souris. Et puis, je viendrai te voir. Dès que possible.
Il me rend mon sourire, un peu apaisé.
- Bon. Alors j'imagine que c'est le moment de se dire au revoir...
Inspirant un bon coup, il s'avance et me prend dans ses bras. La surprise passée, je l'entoure également de mes bras, et l'embrasse sur la joue lorsqu'il me relâche au bout d'une minute. Malgré ce que nous avons vécu, je réalise que nous nous connaissons peu, mais il me manquera. Il s'éloigne pour rejoindre Zell, le dos un peu vouté. Je reste au parking à faire au revoir de la main jusqu'à ce que la voiture disparaisse de mon champ de vision, puis je retourne à l'intérieur, le coeur lourd. C'est comme si une autre partie de ce que nous avons vécu disparaissait.
Les jours suivants se sont étirés de même, longs, ennuyeux, toujours aussi étrangement vagues. Je me souviens avoir erré dans la BGU avec Bess et Casey, sans être capable de rapporter un mot des discussions que nous avons pu avoir et indifférente à l'effervescence générale inexplicable qui envahissait la fac, ou m'être planquée dans les différents coins secrets de la BGU que mes meilleurs amis et moi sommes les seuls à connaître, et où ceux-ci m'ont retrouvée à plusieurs reprises, assoupie à force de larmes et d'épuisement.
Assise sur une des terrasses secrètes de la serre de combat, les genoux ramenés sous le menton, j'observe l'océan que la BGU survole pour retourner à Balamb. Je ne sais même plus combien d'heures j'ai pu passer ici ces derniers jours. Depuis la fin de la guerre, la serre de combat est désertée à la fois par les élèves et les professeurs. Tout le monde a eu son lot de combats, et la dernière chose que nous voulons encore, c'est voir du sang avant un très long moment si ce n'est pas nécessaire. Tant pis pour les entrainements. Les cours n'ont pas encore repris, à la demande des professeurs qui ont jugé utile de nous accorder quelques vacances après ces moments difficiles, malgré les réticences de mon père. Lui était plutôt d'avis de reprendre le cours de la vie aussi vite que possible. Personnellement, je n'en aurais pas été capable. Je n'en serai plus capable.
- Qu'est-ce que tu veux dire par là ? m'a-t-il demandé cet après midi.
Debout face à son bureau, je n'en menais pas large. Il m'avait convoquée pour me communiquer mes résultats à l'examen du Seed. Positifs.
Beaucoup pensent qu'en tant que fille du Directeur de la BGU je suis favorisée. C'est un aspect des choses facile à comprendre. Objectivement, il est difficile pour qui que ce soit de ne pas être tenté de faire son possible pour aider une personne qui nous est chère si on en a le pouvoir. Alors ça se comprend, que ce soit ce que les gens se disent. Qu'on me facilitera forcément la tache, peut-être en augmentant mes notes pour s'assurer que l'honneur de la famille sera préservé. On n'empêche pas les gens de parler. Ça ne me dérange même pas. C'est une chose contre laquelle je suis blindée. Peu importe ce qu'ils pensent eux. Ils croient qu'il est difficile pour eux de montrer leur valeur au Directeur parce que celui-ci privilégie sa fille ? S'ils savaient qu'il est deux fois pire de décevoir une personne qui est non seulement son supérieur mais aussi son père...
- Je croyais que c'était ce que tu voulais, être Seed ? S'est étonné mon père.
- Je croyais aussi.
Combien de disputes on a pu avoir à ce sujet. Combien de fois j'ai dû lutter contre les refus de mes parents de me laisser entrer au Seed. Des refus qui m'avaient toujours semblé tellement injustes. Et j'étais là à refuser le badge qu'il m'offrait, qui aurait dû il y a quelques semaines réaliser ma plus grande ambition.
- Je croyais que c'était ton rêve ? Insistait-il.
- Et je croyais que tu étais absolument contre. C'est quoi le problème ? je me suis impatientée.
- J'essaie de comprendre.
- Tu avais raison. C'est ce que tu voulais entendre ? Le Seed, ce n'est pas fait pour moi. Je ne suis pas assez forte
- Eva, je n'ai jamais voulu dire...
- Si c'est ce que tu voulais dire, ai-je rétorqué, plus blasée qu'énervée. Et tu avais raison. Point final.
Il s'est levé de son fauteuil et est venu se mettre debout devant moi, s'appuyant sur son bureau.
- Je n'ai jamais, jamais, considéré que tu étais trop faible pour faire partie du Seed, Eva.
- De toute façon on s'en fiche, ai-je fait avec un rire sans joie. Je ne serai pas Seed.
- Non, il faut que tu comprennes, dit-il d'un ton ferme. Si ta mère et moi avons toujours refusé que tu sois intégrée au Seed, ce n'est en aucun cas en rapport avec tes capacités. Nous savons que tu es forte, travailleuse, déterminée. Bornée et un peu tête en l'air. Mais tu serais un Seed formidable.
- Alors c'était quoi ? J'ai demandé, sans parvenir à le croire.
- Ta mère t'expliquerait ça sûrement mieux, a-t-il soupiré en se pinçant l'arrête du nez. Tu sais... en tant que parents, c'est très difficile de voir son enfant grandir et être confronté au danger.
- Ça je le comprends, mais...
- Mais ce n'est pas que ça. Ta mère et moi avons vécu des choses que peu de personnes peuvent soupçonner. Nous ne les avons pas racontées, tout simplement parce que nous-mêmes ça nous dépasse et que ceux qui ne les ont pas vécu n'ont pas la moindre chance de comprendre. Mais ça nous a changé. Ça nous a poussé à avoir une vision du monde différente, à accepter que l'invisible soit et que ce que nous pensions impossible existe.
- Tu veux parler des sorcières ? je devine.
- Entre autres. Il ne s'agit pas seulement des combats qui ont eu lieu ou de la magie que l'on connait tous, même si c'est déjà un motif de crainte. La magie qu'elles possèdent va au-delà de ce que nous pouvons imaginer. Mais par dessus tout, elles manipulent le temps. Personne n'a la moindre idée des catastrophes que ça peut engendrer. Voyager dans le temps semble le moindre des problèmes qu'elles pourraient poser à côté des invocations, des magies qu'elles sont les seules à maîtriser, et pourtant... leur facilité à le manipuler... ça leur donne le pouvoir de façonner le monde, de contrôler les dimensions... De réveiller des démons insoupçonnés. Je sais que ce que je dis te paraît complètement obscur, mais je te demande de nous faire confiance. Notre refus de te faire entrer au Seed était motivé par des craintes qui allaient au delà de l'instinct parental.
- Il n'y a plus de sorcière dangereuse aujourd'hui, de toute façon... ai-je fais.
Mon père me dévisagea étrangement. La seule autre fois où je l'avais vu aussi bouleversé, c'est lorsque je l'ai retrouvé à la BGU lors de l'attaque d'Esthar. Je savais qu'il ne mentirait pas, mais ça me choquait presque de le voir ainsi. Comme s'il se faisait son possible pour se contenir.
- Non, il n'y en a plus, répondit-t-il, un sourire un peu crispé apparaissant sur son visage.
Je n'ai pas la moindre idée de la raison pour laquelle les larmes me sont soudain montées aux yeux. Des larmes de soulagement, je réalise maintenant. Ses propres mots le rassuraient, m'apaisant du même coup, même si je ne savais pas pourquoi exactement. Consciente que quelque chose m'échappait mais pas certaine de vouloir savoir quoi, je me suis tue. Des images semblaient passer devant les yeux de mon père et il est resté une minute perdu dans des pensées visiblement peu réjouissantes. Puis, toussotant comme pour s'éclaircir la gorge, il a repris sa place derrière son bureau. Du menton, il a désigné le badge toujours posé sur la table devant lui.
- Tu es sûre de toi ?
- Oui. J'ai eu assez de combats pour toute une vie. Et je n'ai pas aimé que ça a fait de moi, ai-je répondu, songeant avec un frisson du dégoût que les combats provoquaient en moi.
La sonnerie annonçant l'heure du repas résonne dans la BGU, me ramenant brutalement au présent. Je sursaute en réalisant qu'il est plus tard que je ne le pensais. Je me faufile par la petite ouverture du mur menant de serre de combat à la terrasse, replace les briques la masquant, puis cours hors de la serre en m'efforçant de chasser la scène de cet après midi de ma tête.
Je rejoins Bess et Casey qui m'ont gardé une place à la cafétéria. Mais je n'ai pas faim, et je n'arrive pas à réellement entrer dans la conversation. Chaque fois que la porte à double battants de la salle s'ouvre, je ne peux m'empêcher de tendre le cou pour observer le nouvel arrivant. Chaque fois que n'importe quelle porte s'ouvre, mon coeur s'emballe, puis, de déception, loupe un battement en voyant que la personne qui l'a franchie n'est pas celle que j'attendais.
Etan n'a jamais resurgi. Il aurait pu tout aussi bien avoir été le fruit de mon imagination : impossible de parler de lui avec qui que ce soit, puisque personne ne le connait réellement ; puisque personne n'a jamais prêté attention à lui, puisque tous s'en fichent. Ou si ce n'est pas le cas, ils ne s'en préoccuperaient que pour se féliciter de l'absence du fils du plus grand criminel de tous les temps, songeant que c'était une bonne chose de faite. Honteuse et furieuse après moi-même, je me rappelle qu'il y a encore quelque semaines, j'étais comme eux. Pire, même. Mais tout a changé, ce qui rend mon sentiment de culpabilité et de manque vis à vis d'Etan d'autant plus insupportables .
De manque. Oui, je sais. Il a fallu que je me rende à l'évidence. Ce froid glacial permanent dans ma poitrine et ce vide dans ma tête. L'impression de ne plus avoir d'équilibre parce qu'il n'est plus à côté, l'impression de ne plus voir parce que je ne le vois plus lui dès que je lève les yeux.
Une nouvelle fois, la porte claque, et, sursautant, je ne peux m'empêcher de dévisager le groupe de personnes s'avançant dans la file. Arrête ça, Eva. Arrête ou tu vas devenir folle. Personne ne l'a croisé. Tu as fait le tour de la BGU un nombre incalculable de fois, et il n'y a pas la moindre trace de lui. Il va falloir que tu t'y fasses : quand la porte de la cafétéria s'ouvre ce n'est pas lui ; quand la porte de la bibliothèque s'ouvre ce n'est pas lui ; quand quelqu'un sort du couloir et entre dans le campus ce n'est pas lui. Arrête. Avec une boule dans la gorge, je me replonge dans mon soda.
- Eva, tu ne veux pas manger, tu es sûre ? Demande Casey en lorgnant mon plateau vide.
- J'ai pas très faim pour le moment, je marmonne pour toute réponse avant de me tourner à nouveau vers la porte qui avait claqué.
Je remarque à peine que Casey nous laisse au bout d'un moment pour se rendre à la bibliothèque.
- Eva ? Eva !
- O-oui, pardon ? je sursaute en me tournant vers ma meilleure amie.
Bess m'observe, inquiète.
- Euh... Excuse moi, j'étais un peu ailleurs, je bafouille.
- Ça arrive très souvent ces derniers temps, fait remarquer Bess, l'air soupçonneux.
- Je sais, désolée. Qu'est-ce que tu disais ?
- Ce n'est pas ce que je voulais dire. Eva, qu'est-ce qui se passe ?
Je suis tentée de nier, pendant une seconde. Dire qu'il n'y a rien et passer à autre chose. Mais il y a quelque chose, et c'est ma meilleure amie, elle ne mérite pas ça.
- Honnêtement, je ne sais pas bien, j'avoue. J'arrive pas à mettre de mots dessus. Tout ce qui s'est passé ces derniers temps, tout ce que j'ai appris... j'ai du mal à mettre de l'ordre dans mes pensées. C'est plein de choses un peu confuses...
- Tu m'en parleras quand ça le sera moins ?
- Promis, je réponds, un peu apaisée pour la première fois depuis des jours.
- Bon. Je disais donc, reprend alors Bess avec un sourire mystérieusement malicieux, qu'est-ce que tu comptes porter ?
- Ce que je vais porter ? Je demande, perdue.
Elle le fait exprès, elle sait que je n'ai rien écouté et que je n'ai pas la moindre idée de ce dont elle est en train de me parler.
- Pour le bal, ma chère, articule-t-elle, daignant me fournir un indice.
- Le bal ? Je répète bêtement. Mais il n'y a pas de...
Avec un soupir blasé, Bess m'attrape le bras, me traine sur le campus et me plante sous l'immense banderole qui surplombe l'entrée. « Grand bal annuel de la BGU ». Au secours.
- Ça fait une semaine que je te fais de gros sous entendus bien lourds et pas subtiles du tout. Méryl est venue nous tenir la jambe pas plus tard qu'il y a deux jours pour soutirer notre candidature au comité d'organisation ; Kern a recommencé à tourner autour de toi comme un vautour et à te couvrir de lettres d'amour, et la BGU croule sous les décorations atroces qu'ils ressortent tous les ans et que tu passais ton temps à critiquer en des temps plus heureux. J'arrive pas à croire que tu n'aies vraiment rien remarqué. Je pensais que tu t'en fichais seulement !
- Une semaine que ça se prépare ? C'est pas possible je souffle, abasourdie d'avoir loupé ça.
Il me semble soudain remarquer seulement maintenant avec netteté l'activité fébrile autour de moi, les décorations multicolores envahissant le jardin et les couloirs, les portants encombrés de ballons bleus et roses. La grande table dressée pour le buffet contre le mur, les élèves courant dans tous les sens, surchargés de rubans et papiers multicolores. J'ai été dans les choux pendant une semaine. Une semaine que le combat contre Esthar a pris fin.
- Il a fallu que le comité d'organisation, c'est à dire Méryl, aille harceler les professeurs pour obtenir leur soutien, mais il faut croire qu'elle les a eus à l'usure.
- Mais... mais c'est quand ? Je bafouille, comme si ça pouvait faire une grande différence.
- Ce soir. C'est pour ça que ça urge un peu, en fait.
- Ce... Je vais pas y aller de toute façon.
- Bien sûr que si ! rétorque-t-elle.
- Tu sais bien que ça ne m'intéresse pas.
- Et moi je pense que c'est exactement ce dont tu as besoin en ce moment.
Je reste sans voix.
- Parfaitement, affirme-t-elle en croisant les bras. Tu t'es vue ? Tu passes ton temps à errer dans les couloirs comme si tu ne voyais personne, tu ne nous parles presque plus, tu passes ton temps à guetter on ne sait quoi. Tu ne t'entraines même plus - et là ça devient grave. Si tu ne voulais pas qu'on remarque qu'il se passait quelque chose, il fallait faire un peu mieux semblant, ma vieille. Casey et moi on ne sait plus quoi faire pour te faire revenir sur terre. On peut respecter que tu ne puisses ou ne veuilles pas parler de ce qui se passe. Mais on ne peut pas rester à rien faire. Alors oui, je pense que ce bal débile, ridicule et très probablement atrocement ennuyeux est exactement la chose dont tu as besoin en ce moment. Je veux t'entendre te moquer de la musique naze, des gens qui ne savent pas danser et des dragueurs ridicules. Je veux qu'on s'amuse tous les trois à se préparer et qu'on aille rigoler et danser ensemble. Alors je te garantis que tu iras à ce bal, Eva Leonhart, même si pour ça je dois t'y trainer par les cheveux.
Je me rends compte que je regarde vraiment ma meilleure amie pour la première fois depuis longtemps. Il y a dans sa voix quelque chose d'un peu désespéré, et je réalise qu'elle et Casey se sont réellement inquiétés à mon sujet, alors que, à ma grande honte, j'ai à peine prêté attention à eux ces derniers temps. En plus de tout ce qu'elle a souffert durant cette guerre, les combats, les blessures, les blessés dont il fallait s'occuper, et par dessus tout la mort d'Ivackas, moi je ne faisais que m'éloigner.
- Très bien, je me rends en souriant. On ira, à ton bal pourri.
Avec un sourire radieux, elle se jette à mon cou puis m'entraîne vers le dortoir.
- Bon, j'imagine que j'ai la réponse à sa question de tout à l'heure : tu n'as évidemment rien prévu pour le bal.
- Je trouverai bien un truc...
- Tatata. Si je te laisse faire, je parie que je te retrouve en jogging sur la piste de danse ce soir.
- Et après ?
- Nom d'un chien, Eva, est-ce que tu le fais exprès ? S'exaspère Bess en ouvrant la porte de notre dortoir à la volée et en me tirant dans sa chambre.
Elle me plante face à son lit et s'engouffre littéralement dans son armoire. Je reste un peu bête debout dans sa chambre, et alors que je songe à rebrousser chemin, je remarque soudain son uniforme posé sur son lit. Le sien, en tant que médecin-seed, est légèrement différent de celui des Seeds, avec des coutures d'un beau vert et un écusson différent. Je me rappelle soudain que je n'ai même plus le mien. Il me semble que ça fait une éternité depuis que je l'ai laissé chez Kassandra.
- Ah, voilà, fait Bess avec un cri de victoire en sortant la tête de son armoire.
Elle émerge avec des bouts de tissus colorés qu'elle brandit sous mon nez.
- Je me doutais que du haut de ta tour imprenable de désolation et de désespoir tu ne pouvais pas te préoccuper de choses aussi triviales que du choix de LA robe qui ferait à la fois hurler de rage ton père et s'évanouir d'adoration Kern.
- Je ne veux faire hurler ni s'évanouir personne ! Je proteste, rouge brique. Et surtout pas mon père ni Kern.
- Oui, mais Kern n'est pas le seul garçon que tu peux faire s'évanouir, chantonne-t-elle en étalant les robes sur son lit, envoyant valdinguer son uniforme. Dommage que Zack ne soit plus là... marmonne-t-elle, songeuse.
- Je ne veux pas non plus que Zack s'évanouisse, je grommelle. C'est un ami. Mais quand est-ce que tu as eu le temps de prendre ça ? Je demande, sidérée, en attrapant les tissus soyeux.
- Si tu n'étais pas restée dans petit ton monde quelque part là haut, tu te serais rendue compte que nous avons fait une halte d'une bonne journée à Winhill. Toi tu te terrais quelque part, j'imagine, je n'ai pas réussi à te trouver. Mais j'en ai profité pour faire un tour à la ville la plus proche. Et pour dévaliser la boutique de vêtements pour nous deux avec l'aide de Casey.
- Et ton costume d'apparat ?
- J'ai toute ma vie pour le porter. Ce soir, je veux faire la fête, ne penser à rien d'autre, fait-elle, sérieuse.
- Bess... je murmure, écrasée par la culpabilité de l'avoir laissée tombée. Je m'en veux tellement pour ces derniers jours... Ivackas...
Elle me sourit bravement et vient se planter devant moi.
- Encore une fois, dit-elle en me prenant les mains, je suis prête à tout entendre si tu veux me parler. Je sais que ces dernières semaines ont été très dures.
- Pour toi aussi ça l'a été et je n'ai pas été la pour t'aider...
- Je sais que si ça n'avait pas été pour une bonne raison, tu aurais fait ce que je fais en ce moment. Même si tu ne sais pas encore quelle est cette raison. Ce que je souhaite, c'est que tu retrouves le sourire, et tout ira bien pour moi aussi alors. Pour Ivackas, je ne l'oublie pas, évidemment. Mais il faut qu'on réagisse. On doit être fortes, et avancer. Même si ça passe par le bal le plus raté de toute l'histoire des bals. Je veux qu'on s'amuse autant que faire se peut, ou qu'on fasse aussi bien semblant qu'on en est capables. Alors si tu veux faire quelque chose pour moi, tu enfiles une de ces robes et tu me montres de quoi ça a l'air ! Dit-elle, profitant ce que je sois trop émue pour me fourrer une robe bleu foncé dans les mains et me pousser dans ma chambre.
Après la séance d'essayages la plus débridée que nous ayons connue, Bess fixe son choix sur la robe longue bleue qu'elle m'avait fait essayer, tandis que j'en garde une verte, dont la jupe évasée m'arrive un peu au dessus des genoux, et aux bretelles fines – correcte mais déjà bien trop osée pour une fille qui s'habille exclusivement de vieux t-shirts et de jeans depuis des années. Le reste de la journée n'est qu'une longue séance de coiffure et maquillage où Bess s'amuse comme une folle à jouer à la poupée avec ma tête. Après d'âpres négociations, elle parvient à me convaincre de ne pas ruiner ses efforts en redétachant mes cheveux, même si j'aurais préféré les laisser libres plutôt que de garder cette coupe trop sophistiquée pour moi. Pour elle, ça fait partie du jeu. Contre toute attente, je passe un moment génial, où rien d'autre n'existe que ma meilleure amie et moi, et nos bêtises.